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[La semaine infernale, Gilles Dal] Merveilleuses expressions!

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Daniel Ducarme s’en prenait l’autre jour à ceux qui, au moment de ses déboires fiscaux, l’avaient mordu dans sa propre meute. Superbe formule, qui en dit long sur l’image que notre homme doit avoir du milieu politique! Vous me direz qu’il s’agit là d’une métaphore… sans doute, mais les métaphores, par définition, sont lourdes de symboles: en pareilles circonstances, par exemple, Michel Daerden s’en serait pris à ceux qui, dans son propre bistro, avaient bu dans son verre personnel de Batida de Coco; Claude Despiegeleer aurait dénoncé ceux qui, dans sa propre cave à vins, avaient descendu quelques Châteauneuf-du-Pape sans son autorisation; feu Guy Cudell aurait critiqué ceux qui, chez son propre coiffeur coloriste, avaient subtilisé son pot de teinture noir corbeau… bref, chacun selon ses préoccupations.

Je suis bien d’accord, Daniel Ducarme n’est pas le premier à user d’expressions animalières: nous avons déjà la chance, depuis quelques années, d’entendre parler en boucle des coups de griffe des syndicats, de la grogne du secteur non marchand, des interlocuteurs sociaux qui piaffent d’impatience… sans compter les formules zoologiques comme «le cheval de bataille du gouvernement», «le panier de crabes qu’est le monde politique», ceux qui accusent le gouvernement de mener une politique de l’autruche, de tuer la poule aux oeufs d’or, les associations professionnelles qui se vantent d’appeler un chat un chat, ceux qui se targuent d’être à cheval sur les principes en matière de gestion des finances publiques, et qui en appellent à ce titre à un traitement de cheval pour la Sécurité sociale, les interlocuteurs sociaux dont on dit qu’ils se regardent en chiens de faïence, les syndicats qui accusent le patronat de payer en monnaie de singe: on voit bien que Ducarme n’a pas complètement innové.

Cela dit, user d’une métaphore canine n’est pas très obligeant pour le milieu politique. Notre homme n’a certes pas poussé sa logique à son terme: il n’a pas dit, et heureusement, que certains de ses collègues de partis avaient la gale ni qu’ils étaient enragés, il n’a pas appelé à leur mettre une muselière, il n’a pas parlé de poils mouillés, de bouche haletante, de regard vitreux… bref, il n’a pas qualifié ses collègues de chiens; il n’empêche qu’il a parlé de meutes et de morsures, alors qu’il aurait pu tout aussi bien s’en prendre à ceux qui, dans sa propre volière, lui avaient adressé des coups de bec, ou à ceux qui, dans son propre aquarium, lui avaient envoyé des bulles au visage: ces images eussent été assurément plus poétiques, plus douces.

Parmi les métaphores peu poétiques, relevons également celle, qui triomphe particulièrement en ce début d’année 2006, de la sonnette d’alarme. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais la Belgique est le pays où tout le monde tire la sonnette d’alarme: les syndicats tirent la sonnette d’alarme, le patronat tire la sonnette d’alarme, les ONG tirent la sonnette d’alarme, des collectifs tirent la sonnette d’alarme, les chercheurs tirent la sonnette d’alarme… Je pose donc benoîtement la question: mais où est-ce qu’elle est, cette satanée sonnette d’alarme? Elle existe forcément, puisque tout le monde la tire! Dans le même temps, elle ne doit pas très bien fonctionner: vu le nombre de nombre de gens qui la tirent, elle devrait nous assourdir en permanence, ce qui n’est cependant pas le cas.

Pourquoi tire-t-on tant sur la sonnette d’alarme? En général, pour «exprimer un ras-le-bol». Encore une jolie expression belge, ça: «exprimer un ras-le-bol». «Alors, Monsieur, qu’est-ce que vous faites?». «Je tire la sonnette d’alarme». «Pour quoi faire?». «Pour exprimer un ras-le-bol». Dix fois par jour.

S’il y avait moyen de rayer ces formules du lexique journalistique, je serais soulagé. Pardon: je «pousserais un ouf de soulagement». Dans les médias, en effet, on n’est jamais soulagé: on pousse toujours un «ouf» de soulagement.

Enfin, une petite dernière pour la route, personnellement ma favorite: les élus qui disent qu’ils vont «mouiller leur chemise». Franchement! N’a-t-on vraiment rien de plus élégant en magasin? Un ancien responsable du monde du football passé à la politique est le grand spécialiste de cette expression: lors des dernières élections, il répondait toujours, quand on l’interrogeait sur son programme: «écoutez, c’est simple: mon programme, c’est de mouiller ma chemise». «Vous pouvez nous en dire plus?». «Si vous voulez. Vous voyez ma chemise?». «Oui». «Eh bien mon programme, c’est de la mouiller».

Comme disait l’autre: heureusement que les mots existent, ils permettent de se sortir de bien des situations délicates!

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