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[La semaine infernale, Frédéric Jannin] Quelle trouille !

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

V ous ne savez pas ce que c’est, hein, vous, la peur du blanc ? C’est pas un truc de racisme. Ici, ça commence par l’angoisse de la page blanche. Puisque le texte qu’on lit à haute voix devant vous, on l’a d’abord écrit. La preuve, c’est qu’il est quelquefois publié dans le quotidien qui nous sponsorise. Oui, mais ça fout vraiment la trouille, hein ! OK, l’angoisse de la page blanche, c’est virtuel, tout le monde travaille sur ordinateur. Appelons ça l’angoisse de l’écran blanc. Brrrr. Frayeur immaculée.

Là où ça se corse, c’est que le texte qui finira bien par remplir cet écran, faudra qu’il soit lisible intelligiblement devant un public, et qu’ensuite, il soit compréhensible en radio. Oui, mais dites ! Vous vous rendez compte ? Vous croyez qu’on absorbe les choses de la même manière en public, à la radio ou en lisant sa gazette du week-end ? C’est une vache de multitâche. En plus, il est de bon ton de paraphraser. Il est plutôt recommandé de trouver des façons détournées de dire ce qu’on veut dire. Par exemple, qu’est-ce que je pourrais partager avec vous cette semaine ? Je serais bien revenu sur cette histoire du fameux texte controversé dans les écoles, là, avec le pot de fleurs qui tombe sur la tête de la maîtresse. C’est un bon thème, après les histoires de bruitages de phoques. Un bon exemple pour vous dire à quel point on a peur.

Certes, on a peur de la page blanche (ou de l’écran blanc), mais surtout, on a peur de cette faramineuse tendance à s’empêcher de dire ce qu’on pense, de crainte de froisser les cons. Je sais que c’est un peu facile, mais parfois, j’aurais envie de dire tout simplement : à bas les cons ! Mais non, on ne peut pas, parce qu’on risque de les vexer. Ou pire : ils risquent de ne pas comprendre. Alors, il faut se tordre le chicon pour tenter de paraphraser, de “circonvoler” le plus habilement possible, afin que les cons ne risquent pas trop de se rendre compte qu’on les trouve vraiment cons. Oui mais dites ! Où va-t-on ? Ai-je bien compris ? On en est vraiment arrivés au point où il nous faut trahir le moindre soubresaut d’intelligence qui risquerait de manquer de respect envers les cons qui pourraient ne pas bien saisir ce qu’on a voulu dire.

Holà holà ! Je vous arrête tout de suite ! Stop ! Taisez-vous, car vous risquez de stigmatiser les moins éveillés ! Ou alors, il serait bon de débuter par un avertissement : attention, aux âmes sensibles, sensibles de ne pas comprendre, ceci est supposé faire rire et faire réfléchir ! On en est là, et les exemples foisonnent. Je ne voudrais surtout pas donner une image de gros malin et me positionner d’un côté ou de l’autre de la frontière de la connerie. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. J’ai eu au moins l’honnêteté d’avouer mes trouilles. Trouilles, d’ailleurs que je remercie ici publiquement puisqu’elles m’ont permis de la remplir, cette feuille qui était blanche.

Il me restera tout de même la trouille de ne pas m’être bien fait comprendre, que ce soit par voie écrite ou lue devant une assistance attentive, bienveillante et bouche bée. J’ai tenté en tout cas de m’exprimer le plus simplement possible, afin de ne pas stigmatiser qui que ce soit. Sauf peut-être les esprits tordus, à qui je présente mes plus plates excuses. Et toutes mes excuses aussi aux personnes qui luttent contre la connerie aux quatre coins du monde et que j’ai sûrement dû desservir, ici, avec mon piètre réquisitoire… Je suis quand même con, parfois.

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