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[La semaine infernale, Gilles Dal] "Foin d'hypocrisie !"

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Je vous le dis en un mot comme en cent : on n’a plus aucun repère. Pensez donc : Nicolas Sarkozy vante, dans ses discours, l’action de Jean Jaurès et de Léon Blum, les pères du socialisme français (pourquoi pas, tant qu’on y est, Bob Marley en veste autrichienne !); Jean-Marie Le Pen, sur ses affiches de campagne électorale, montre une jeune beurette clamant son amour pour le Front national (pourquoi pas, tant qu’on y est, Diam’s en assistante parlementaire de Serge Kubla !); les ministres les plus sinistres du gouvernement wallon, à la radio, sélectionnent comme choix musical des tubes de rap, pour bien montrer qu’ils sont proches des jeunes (pourquoi pas, tant qu’on y est, Charles-Ferdinand Nothomb sélectionnant un tube de heavy metal du groupe “Machine Head” !)… Mais enfin, que se passe-t-il ? Plus personne ne s’assume, ou quoi ? C’est donc ça, la nouvelle mode : chercher à plaire à ceux d’en face ? Et quoi ? José Happart, pour soigner sa cote de popularité auprès de l’autre communauté du pays, va bientôt devoir annoncer que depuis des années, après avoir soigneusement verrouillé sa porte, fermé toutes ses fenêtres pour être sûr que ses voisins n’entendent pas, puis vérifié qu’il n’y a aucun micro espion dans les plantes de son salon, il regarde VTM en cachette, il parle flamand avec sa femme et il se passe en boucle le CD “Vlaamse nachten” d’Helmut Lotti ? Le Dalaï-lama, pour élargir son audience auprès d’une certaine partie de la population belge, va devoir déclarer que s’il n’était pas tenu à des traditions ancestrales, et que si ça ne tenait donc qu’à lui, il prendrait sa carte à la Volksunie, que d’ailleurs il a toujours une photo d’identité d’Hugo Schiltz dans son portefeuille ? Bill Gates, pour conquérir le marché des amateurs d’humour, va devoir dire que lui et la rigolade, ça fait un, et qu’il a même fini demi-finaliste au festival du rire de Rochefort ? Soyons sérieux : montrons-nous tels que nous sommes; cessons de jouer des rôles ! Que les vedettes, par exemple, cessent de mentir dans les interviews, chaque fois qu’on leur demande quel est leur livre de chevet… vous avez remarqué ? A cette question, il n’y en a jamais aucune qui répond : “un quoi ? Un livre ? Pfff… non, trop prise de tête”; ce sont toujours des réponses comme : “je relis A la recherche du temps perdu de Proust”, “je m’imprègne, pour la vingtième fois au moins, de la poésie de Pablo Neruda”… les oeuvres citées, curieusement, ne sont jamais “Champagne tiède et biscuits mous”, les mémoires de Jean-Marc Thibault sorties l’année dernière, ni “700 jours avec Stéphanie”, opus publié en 1993 par Yves Roze, qui fut un temps producteur de Stéphanie de Monaco. Aujourd’hui, tout devient tellement formaté, tellement prévisible, que les réponses sont quasiment interchangeables d’une interview à l’autre; en médaille de bronze, citons l’incontournable : “j’apprécie tous les types de musique; j’écoute un peu de tout” (révélation de premier ordre); en médaille d’argent : “j’ai un groupe d’amis de toujours, qui travaillent dans un tout autre milieu que le mien, et qui ne me fréquentent donc pas parce que je suis connu; chaque fois qu’on se voit, on se paye des séances de fous rires incroyables; ils m’aident tous à bien garder les pieds sur terre”; en médaille d’or, enfin : “je suis un peu à part dans le milieu du show-business : je ne fréquente jamais les soirées parisiennes; je préfère passer le plus clair de mon temps dans le petit village de mon enfance, où je vais me ressourcer en fréquentant des gens vrais et authentiques”. Hors compétition, notons également l’échange suivant, toujours savoureux : “je fais pas mal de trucs pour les pauvres, mais je préfère ne pas en parler par discrétion” - “d’accord, mais là, vous en parlez non ?” - “… c’est-à-dire que d’habitude, je n’aime pas trop en parler” - “alors pourquoi en parlez-vous aujourd’hui ?” - “euh… bonne question”. Toujours ce souci de faire bonne impression, de dire ce qu’il faut dire ! Organisons donc tous ensemble, dans les mois à venir, la journée mondiale contre la langue de bois, au cours de laquelle toute célébrité surprise en train de dire ce qu’il faut, et non ce qu’elle pense, se verra impitoyablement dénoncée et, en cas de récidive, rayée à vie des listings des journalistes.

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