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[La semaine infernale, Gilles Dal] La Belgique éternelle

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Je vais vous dire une bonne chose : je suis jaloux des Français ! Eux, au moins, ont eu droit à une magnifique élection présidentielle, avec un suspense digne de la Star Academy : “pour voter à gauche parce que vous aimez la cohésion sociale, tapez 1”, “pour voter à droite parce que vous aimez la compétitivité des entreprises, tapez 2”, “pour voter au centre parce que vous n’aimez ni la gauche ni la droite, tapez 3”; par comparaison, la campagne qui s’annonce chez nous me ferait plutôt penser à la rediffusion d’un vieux Derrick qu’on regarderait d’un oeil distrait un dimanche soir, en mordant vaille que vaille dans une pizza décongelée trop vite retirée du four. Hé oui, je suis jaloux. Les Français ont eu la chance de pouvoir admirer leur nouveau président fraîchement élu, dans toute sa “flamboyance” et son panache, savourant sa victoire en boîte de nuit avec les éléments les plus glorieux du show-business : Gilbert Montagné, Didier Barbelivien, Arthur, Jean-Marie Bigard, Bernard Tapie… On imagine, le long de la piste de danse, les concours de blagues salaces, les rires gras, les fontaines de champagne, les concours de karaoké, les strip-teaseuses. Un peu comme si le général de Gaulle, le soir de son élection, avait célébré son triomphe au Byblos de Saint-Tropez, avec André Malraux en DJ d’un soir et François Mauriac lançant des chenilles et hurlant frénétiquement : “on a gagné, on a gagné !” Aurait-on imaginé Georges Pompidou se trémoussant au “Blue Monkey”, Valéry Giscard d’Estaing jerkant au “Funky Dance”, François Mitterrand sirotant sa bouteille personnelle au “Brazilian Night” ? Dira-t-on plus tard, à la place de “la France, patrie de Voltaire et de Rousseau, mère nourricière de Victor Hugo et de Charles Baudelaire” : “la France, patrie de Didier Barbelivien et de Daniel Guichard, mère nourricière de Doc Gynéco et de François Valéry” ? Quand je pense qu’à côté de tout ce prestige, certains de nos futurs élus, ici, en Belgique, le soir de l’élection, se verront refouler par le videur du dancing “Het New Macumba” situé le long de la grand-route de Maldegem, au simple prétexte que, je cite, “désolé, c’est une soirée privée; élu ou pas élu, je ne veux rien savoir”, je suis pris d’un violent cafard. Je rêverais, moi, pour mon pays, d’un grand rassemblement autour de Serge Kubla ou de Michel Daerden dans un night club de prestige, avec des guest stars comme Lou et les Hollywood Bananas, Sandra Kim et Jean-Claude Van Damme : après tout, la Belgique aussi mérite sa part de lumière ! La pilule est d’autant plus amère que depuis quelques jours, fleurissent donc dans nos rues des affiches électorales. Ô surréalisme : la grande fête à peine finie, elle recommence tout de suite en plus petit chez nous. Sans formules solennelles comme “la France éternelle, fière de son drapeau et de sa mémoire collective, hissera au firmament de l’humanité son message universel”, mais avec des envolées plus modestes, comme “la Belgique doit mouiller la chemise si elle ne veut pas piquer du nez”. Moins émouvant; un autre style. Quand je vois ces affiches, je me sens dans la peau d’un type un lendemain de fête, quand les lampions sont éteints, quand les confettis sont par terre ou coincés dans les plis des fauteuils, quand des montagnes de vaisselle sale sont disséminées à travers tout le salon, à qui on annoncerait qu’une autre fête va recommencer tout de suite chez lui : en pareilles circonstances, il n’a plus du tout envie de festoyer; il souhaite juste tout nettoyer. C’est exactement mon état d’esprit, et je suis fatigué d’avance d’avoir à entendre à nouveau moult “que n’avez-vous fait ce que vous promettez maintenant lorsque vous étiez aux affaires”, “les chiffres, on leur fait dire ce qu’on veut”, “cessez de m’interrompre”, “je ne peux pas vous laisser dire ça”, “je vous répondrai, oui, mais seulement si vous m’en donnez l’occasion”, “ne vous énervez pas”, “je suis désolé, mais pas de paradis social sur un désert économique”, et autres “je suis désolé, mais pas de paradis économique sur un paradis social”. Pfff… dire qu’il va falloir subir tout ça pendant un mois encore ! Mon enthousiasme est à peu près semblable à celui d’un grand vainqueur de concours de manger de tartes au sucre sur table à qui on annoncerait que pour fêter sa victoire, tout le monde va se rendre au restaurant. Ou à la joie d’un enfant à qui on expliquerait que pour son anniversaire, le dîner sera exclusivement composé de fenouil et de choux de Bruxelles. Ou au bonheur de Silvio Berlusconi, de passage en Belgique, à qui on apprendrait qu’une rencontre a été organisée avec un Belge d’origine italienne, en la personne de Roberto D’Orazio. Mais bon, je ne me plains pas : comme disait l’autre, en matière de vote, mieux vaut trop que trop peu…

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