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[La semaine infernale, Gilles Dal] Pays de cocagne

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Pfff… il faut vraiment tout faire tout seul ! Je pars deux petites semaines en vacances, et qu’est-ce que je retrouve à mon retour ? Un pays dont les institutions ressemblent de plus en plus à la coiffure de Jacques Higelin : le tout tient ensemble, mais on ne sait pas bien comment.

La Belgique me fait désormais penser à une chambre d’adolescent rebelle : les murs sont là, le lit est là, le bureau est là, le sol est là, la porte est là, mais le désordre est tel qu’on ne voit plus rien. Sur les murs, des posters de hard rock et de groupes sataniques incitant à arracher les ongles des profs de maths; sur le lit, un amas compact de 3 mètres de haut composé de vieilles chaussettes et de T-shirts usagés; sur le bureau, des bâtons d’encens brûlé et des morceaux de bougies fondues; sur le sol, des CD hors de leur pochette avec du beurre dessus; sur la porte, une pancarte sur laquelle est indiqué en gras “interdit aux parents”… mais malgré tout cela, ça tient ensemble ! Et le fait que ça tienne, dans la superbe métaphore que je vous propose, c’est la paix entre les communautés. On se regarde parfois d’un oeil mauvais, un mot méchant se perd de temps en temps, on s’énerve à l’occasion, mais grosso modo, aucun Flamand n’a encore poignardé un francophone pour avoir commandé son boudin dans la langue de Molière en région flamande.

Je vous parlais de chambres d’adolescents, eh bien je ne suis pas certain que cette image soit si éloignée de la réalité; jugeons-en par les interviews accordées par les divers protagonistes de la scène de ménage nationale à laquelle nous assistons médusés : après chaque échec de négociation, c’est la rengaine du “c’est pas moi qui ai tout fait rater, c’est lui”, “non, c’est lui qui a commencé”, ” même pas vrai”, “si, c’est vrai, et c’est dégueulasse de dire que c’est pas vrai : je suis venu avec un gros stock de belles propositions, et il les a toutes refusées”, “je les ai refusées parce qu’elles étaient nulles, ses propositions !”, “non, mes propositions n’étaient pas nulles: c’est nul de dire qu’elles étaient nulles”, “si, si, si, elles étaient nulles, archi-nulles, nulles, nulles, nulles ! Elles étaient tellement nulles que tout le monde a rigolé en les lisant !”, ” hé bien si c’est comme ça, on va demander au Roi, tiens, pour savoir qui a raison et qui a tort”, ” ah, non ! Le Roi, il peut pas jouer !”, “et pourquoi pas ?”, “parce que c’est les règles !”, “et à quoi ça sert d’avoir un roi, s’il peut jamais jouer ?”, “ça sert à recevoir des gens et à leur serrer la main”… ah, quel panache ! Quelle noblesse d’esprit ! Quelle élégance généralisée ! Ce lyrisme qui vous souffle dans la nuque, et qui vous donne envie de vous passionner pour la chose publique ! Ces mots superbes qui, accolés les uns aux autres, reconstruisent un monde de beauté et de grandeur, au firmament duquel la Belgique scintille de mille feux ! “Je veux bien te laisser les communes à facilité, mais seulement les maisons à numéro impair”, “non, moi j’ai une meilleure idée : les communes à facilité ne le seraient que les jours de pluie; le reste du temps, qu’il y ait du soleil, ou qu’il neige, elles ne le seraient plus”, “d’accord, mais quid en cas de grêle ?”, ” euh… alors, j’ai peut-être mieux : plus personne ne parlerait le français ou le flamand, mais tout le monde s’exprimerait en langage des signes. Pour les documents écrits, il suffirait de photographier les positions des mains”. Pfff…

Je vais vous dire une bonne chose : nous autres, francophones, sommes trop mous; il faut rendre oeil pour oeil, dent pour dent, frapper fort, ne pas plier face aux exigences flamandes ! Pendant mes vacances, j’ai réfléchi à quelques mesures fortes que nous pourrions leur opposer. Première idée : interdire à toute personne d’expression flamande l’accès au plan incliné de Ronquières. Je sais, c’est dur, c’est cruel, certains diront même inhumain, mais je vous avais prévenu : il ne faut pas lésiner. Deuxième idée : un sacrifice que, cette fois, nous devrions faire de notre côté : boycotter le Bobbejaanland Park, histoire de torpiller l’économie flamande. Je sais que cela peinera les nombreux admirateurs francophones de ce haut lieu de divertissement familial, mais on n’a rien sans rien. Troisième idée : empêcher les Flamands, qui sont si fiers de leur culture, d’employer des mots d’origine française. Un peu de cohérence, que diable ! Et bonne chance, le dimanche matin, pour passer leurs commandes à la boulangerie. Car au fond, c’est trop facile de tout désigner en français, mais de se contenter de rouler les “r” pour bien marquer sa différence : “vier carré confituurs”, ” twee croissants au moka”, ” zes merveilleux”, ” drie forêts noires”, ” vijf couques suisses”… assez ! Forçons-leur à flamandiser tout ce qui peut l’être; qu’ils se débrouillent pour que leurs arc-en-ciel soient jaune et noir; qu’ils popularisent l’adoption, à la place de chiens, de chats ou de hamsters, de petits lions des Flandres qu’ils promèneraient en laisse dans leurs rues dont le nom serait dépouillé de toute référence francophone : plus de rues général de Gaulle, par exemple, mais des generaal van Gaullestraat; plus de “pittas gyros”, mais des “gyros pittas”. Et surtout, le plus important, que sur les pancartes indiquant la direction de l’Atomium, on continue à bien inscrire les deux orthographes, à savoir en flamand : “Atomium”… et en français : “Atomium”.

Vous allez voir, ça changera tout… woups, une ultime précision avant de conclure : quand je dis “les Flamands”, c’est une formule, bien évidemment; j’entends juste ” certains Flamands”, et sans doute pas leur majorité !

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