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[La semaine infernale, Gilles Dal] Un pipe-line aquatique

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Cette semaine, comme chaque fois depuis le début de la saison, je vais vous parler, si vous le voulez bien, de l’état de notre beau pays. Oh, attention : loin de moi de “jeter l’opprobre”, de “stigmatiser”, de “mettre de l’huile sur le feu”, de “faire le jeu des extrémistes”, de “jouer la stratégie de la tension”, de “m’adonner à la politique du pire”, d‘“exacerber les rivalités entre les communautés”, d‘“attiser la méfiance réciproque”, de “pratiquer la politique de la terre brûlée” ou encore de “semer les germes d’un divorce du pays”; simplement, j’essaie de voir où nous en sommes.

Récapitulons : la pomme de discorde, enfin une des pommes de discorde (vous avez remarqué, au passage, le retour en force de cette expression savoureuse ?) entre les communautés, c’est le statut de Bruxelles. Pour faire bref, les francophones aimeraient qu’il y ait une jonction entre Bruxelles et la Wallonie, afin de constituer un bloc homogène, et les Flamands ne veulent pas en entendre parler.

Ecoutons d’abord les Bruxellois francophones, qui ne sont pas loin de dire : ne nous laissez pas encerclés par ces sauvages ! Ils vont nous forcer à rouler les “r” ! Ils vont nous interdire d’aller au restaurant le midi, et nous obliger, à la place, à manger des sandwiches au salami devant notre ordinateur ! Les jours fériés, nous devrons tous porter des trainings satinés parfaitement repassés ! Le port de la moustache blonde va devenir obligatoire ! Ils vont nous parquer dans des centres de rééducation, où nous devrons apprendre par coeur des poèmes de Guido Gezelle ! Nos rues vont devenir bien proprettes, jalonnées de faux puits et de mini-brouettes poussées par des nains de jardin noirs et jaunes ! Nous devrons tous porter des costumes mauves, avec des chemises orange et des cravates turquoises ! Dans nos administrations, toute personne surprise à demander un renseignement en français comparaîtra dans l’heure en Cour martiale, avant d’être fusillée séance tenante !

Ecoutons ensuite les Flamands, qui ne comprennent pas pourquoi diable les Bruxellois veulent se rattacher aux Wallons. Car au fond, qu’est-ce qu’un Wallon ? Certains esprits simples seront peut-être tentés de dire qu’il s’agit de quelqu’un qui habite en Wallonie, mais les choses sont bien plus subtiles : là où l’eskimo dispose d’une vingtaine de mots différents pour désigner la neige, le Flamand, quant à lui, n’est pas en reste pour qualifier le Wallon. Jugeons-en plutôt : chômeur, paresseux, bête, profiteur, aigri, geignard, moche, alcoolique, lymphatique, mou, acariâtre, négligent, frustré, apathique, mal dans sa peau, je-m’en-foutiste, de mauvaise volonté, pauvre, gris, fainéant, déprimant… Bonjour le cadeau ! Alors ? Pourquoi veulent-ils rejoindre un tel troupeau, alors que nous leur offrons richesse et prospérité ? Un paradis social, un paradis économique, des supérettes parfaitement entretenues, avec des charriots rangés au millimètre, des trottoirs d’une propreté maculée, des rues où passent en boucle les oeuvres complètes de Richard Clayderman… ça ne se refuse pas, tout de même !

Et les Wallons qui s’indignent que les Flamands veulent voler de leurs propres ailes ! On croit rêver. Car au fond, mettons-nous à la place de nos compatriotes du Nord : quand on marche avec un boulet au pied, n’est-il pas normal d’avoir envie de s’en débarrasser, à plus forte raison si ce boulet vous insulte et vous traite d’égoïste ?… Woups, pardon, ma spaghetti party de samedi dernier avec Yves Leterme m’a sans doute un peu influencé.

Face à un tel tableau, moi je dis : plus qu’un petit effort. On y est presque. Encore un ou deux mois, et vous allez voir, on parlera plus, dans la presse internationale, de nos querelles linguistiques que du conflit israélo-palestinien. Il faut dire qu’à partir du moment où, pour se faire une idée de la situation de la Belgique, les journalistes étrangers vont interviewer le sympathique Filip Dewinter, porte-voix du Vlaams Belang - ce charmant bonhomme avec qui tout un chacun rêverait de partir en vacances, rien que pour avoir le plaisir de l’abandonner le long de l’autoroute -, l’impression dégagée sur notre pays n’est forcément pas reluisante. Un peu comme si, pour se faire une idée de ce qu’est la France, des hordes de reporters se pressaient autour de Jean-Marie Le Pen. Ou comme si, pour savoir ce qu’est le Vatican, on allait interroger le président du Centre d’action laïque. Ou comme si on allait voir Jacky Buchet, notre ami restaurateur spécialiste du gibier, pour parler de diététique. Ou Hervé Hasquin pour commenter l’ouvrage “200 ans de rigolade en Wallonie”. Ou Serge Kubla pour donner son avis d’expert sur l’élégance parisienne. Ou Michel Daerden pour donner ses secrets personnels sur une hygiène de vie réussie. Ou Monseigneur Léonard pour évoquer sa passion pour le break dance. Bref : l’intérêt suscité par notre pays est sans doute un brin artificiel.

Ceci étant dit, j’aurais peut-être une solution qui conviendrait à tout le monde. Ce serait la construction d’un tuyau aquatique géant légèrement incliné entre Bruxelles et la Wallonie. Un peu comme à Aqualibi : au-dessus de Rhode-Saint-Genèse, une espèce de pipe-line, placé quelques mètres au-dessus du sol, dans lequel chacun pourrait se glisser, non sans avoir au préalable revêtu son maillot. De cette manière, il y aurait une jonction directe entre les 19 communes et la Wallonie, et comme il ne faudrait rien changer aux frontières actuelles, les Flamands seraient contents.

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