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[La semaine infernale, Raoul Reyers] C'était le bon temps

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Mais pourquoi est-ce que mes parents me faisaient toujours des réflexions sur leur époque à eux ?

“Oh vous ne savez pas la chance que vous avez ! On n’était pas gâtés comme vous, nous à l’époque. On ne pouvait pas manger toutes les cuisines du monde qu’on ne connaissait pas ! On économisait pendant des mois pour avoir une grosse télé noir et blanc qui chauffait. On devait partir en vacances en Espagne en voiture sans autoroutes et on arrivait comme des loques après trois jours de voyage. On ne buvait pas du vin tous les jours à table ! On n’avait pas deux voitures ! On se contentait de peu. On ne changeait pas de vêtements tous les jours ! On ne se plaignait pas au travail ! On était contents de manger une glace de temps en temps ! On allait très peu au restaurant et quand on y allait, on prenait des plats tout simples comme un oeuf à la russe, des boulettes avec des frites ! On ne téléphonait que pour de bonnes raisons et sans rester des heures pendus au cornet du téléphone ! Tout le monde n’avait pas de salle de bain ! Les petites gens vivaient chichement ! On respectait l’autorité, on aimait son patron, on était impressionné par un bourgmestre ou un ministre ! On n’allait pas faire des examens à l’hôpital pour un oui pour un non ! On mangeait des fraises en saison, on ne connaissait pas les mangues, les kiwis, les fruits de la passion, on mangeait des pommes et des poires qu’on laissait sécher dans le grenier sur du papier journal ! Tout le monde fumait tout le temps des cigarettes sans avoir l’impression d’être un pestiféré.”

“Ben oui ça c’était votre époque ! Nous maintenant on a des grandes télés pleines de couleurs mais on n’y voit plus que des conneries et on peut se la payer comme on veut, mais une fois qu’on l’a, on a déjà envie d’un plus gros modèle ! Et oui, nous on peut manger toutes les cuisines du monde, mais parfois on ne sait plus très bien quelle est notre cuisine à nous à part les frites et la sauce andalouse ! Nous, on part en vacances trois fois par an, mais on est parqués dans des hôtels bourrés d’Allemands et de Russes et d’Anglais dont la vulgarité et l’incivisme n’ont d’égal que la morosité de ces parcs à touristes all inclusive ! Nous, on boit du vin tous les jours et on est presque tous alcooliques et notre foie est là pour nous le rappeler ! Et puis, on a deux voitures et souvent une de société, alors qu’on préférerait avoir l’équivalent en salaire, mais ça arrange mieux la firme qui nous a engagés de nous payer en frais ! Nous, on change de vêtements tout le temps à tel point que si nos gamins n’ont pas de quoi rivaliser avec les autres élèves de leur école, ils sont mis au ban de la cour de récréation ! C’est vrai que nous, on se plaint au travail mais à votre époque vous aviez encore la chance de tomber sur des gens compétents dont le seul but n’était pas d’aller manger au restaurant le midi aux frais de la princesse, et qui considéraient que le travail était autre chose qu’un enrichissement personnel. Nous on mange des glaces tant qu’on en veut. Le congélateur en est bourré, les glaciers rivalisent d’ingéniosité pour rendre ce mets de plus en plus délicieux et on a une chose que vous n’aviez pas à votre époque et que vous allez encore plus nous envier, on est tous susceptibles de devenir diabétiques. Nous, en plus, avec les restaurants fastfood, on est sûrs de ne plus avoir froid l’hiver avec la graisse qu’on ingurgite. Nous, notre téléphone plein de choses qu’on ne connaît pas nous fait fondre le cerveau ! Tout le monde n’a toujours pas de salle de bain mais vous aviez la chance de vous promener en ville sans voir des gens qui dorment sur le trottoir. Nous, on aime plus très souvent notre patron, les bourgmestres et les ministres ne nous impressionnent plus car quand ils sont honnêtes ils sont souvent incompétents ou apparatchiks. Nous, on a tous les fruits tant qu’on en veut mais le problème c’est qu’ils n’ont plus de goût ! Même les poires et les pommes ! C’est vrai qu’on ne fume plus mais la planète n’a presque plus d’air, alors, c’est un peu la même chose.”

“Il y a juste une chose que vous aviez et que nous n’aurons bientôt plus : ce sont les Flamands, et ça on peut dire que c’est sans doute la seule raison de nous envier !”

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