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[La semaine infernale, Gilles Dal] Belgique, saison IV

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

La semaine prochaine, j’ai rendez-vous à Hollywood pour leur soumettre un projet de série. Le titre : “Belgium”. Le sous-titre : “Les avatars et les avanies d’un curieux petit pays qui ne lasse d’étonner jusqu’à ses propres habitants”. Je suis assez optimiste quant à l’issue de ce rendez-vous, car tout est là pour un succès planétaire.

Tout d’abord, un thème porteur ; un référent, comme disent les experts en marketing : le destin d’une petite communauté vivant sur une infime parcelle de territoire, composée de gens qui ne cessent de se demander ce qu’ils vont devenir. A force, saison après saison, cette question finirait par tourner à l’obsession : ils ne penseraient plus qu’à ça, si bien qu’à un moment donné, à la moitié de la deuxième saison par exemple, les Belges se couperaient totalement du monde extérieur ; ils installeraient de grands miradors tout autour de leurs frontières, ils débrancheraient Internet, ils empêcheraient tout contact physique et toute transaction financière entre la Belgique et ses voisins, et ils ne s’exprimeraient plus que par mots-clés, répétés en boucle jusqu’à la folie : “communautés”, “régions”, “facilités”, “bilinguisme”, “continuum linguistique”.

Ces mots, à force d’être répétés, finiraient par constituer leur unique sphère mentale : “communautés”, “régions”, “facilités”, “bilinguisme”, “continuum linguistique”. Partout, tout le temps, encore, et encore : “communautés”, “régions”, “facilités”, “bilinguisme”, “continuum linguistique”.

Peu à peu, tous les autres mots perdraient leur raison d’être, et au final, l’homo belgicus deviendrait un homme radicalement nouveau, tout entier absorbé par les tensions institutionnelles de son pays : plus rien ne lui importerait.

Au début de la saison 3, l’endoctrinement passerait un cap nouveau : tout le monde accrocherait des posters de Vincent De Coorebyter dans son salon ; on se repasserait en boucle les analyses toujours truculentes de Gérard Deprez et les métaphores colorées d’Hermann de Croo ; on perdrait pied, peu à peu, et les perspectives se rétréciraient : les philosophes ne se demanderaient plus s’il y a une vie après la mort, mais s’il y a une vie après la Belgique ; ils ne s’interrogeraient plus sur le sens de la vie, mais sur le sens de certaines revendications ; on ne s’inquiéterait plus du sort de la planète à cause du réchauffement climatique, mais du sort des dix-neuf communes ; adieu, les chaînes de solidarité pour le Darfour et pour la Tchétchénie, bonjour la solidarité entre Wallons et Bruxellois !

Le vrai héros de la série, ce serait la fameuse table, qu’on retrouve dans les légendaires expressions : “se mettre autour de la table”, “mettre les propositions sur la table”, “quitter la table”, “passer à table”. On ne parle pas d’une table, mais de la table, alors : qui diable est cette fameuse table ? Où se trouve-t-elle ?

Ces questions hanteraient un téléspectateur savamment tenu en haleine épisode après épisode : est-ce une table Ikea ? Une table en bois d’ébène ? Et puis, surtout, n’est-elle pas trop petite ? Car c’est peut-être ça, au fond, le problème : s’il n’y a que quatre places autour de la table, il suffirait d’en acheter une plus grande, et peut-être, alors, que tout le monde pourra enfin se mettre autour d’elle ! Qui sait : il arrive que les problèmes les plus complexes soient résolus grâce à une idée toute simple ; parfois, il suffit d’un peu de sens pratique…

Ma série serait également parcourue de personnages secondaires ; je pense entre autres aux fantaisistes, ceux qu’on appelle en général à la rescousse pour pimenter les émissions de débat. Ceux, notamment, qui veulent le rattachement de la Wallonie à Disneyland et qui, quand on leur dit qu’il y a tout de même peu de chances, que Mickey et Minnie ne sont pas très chauds à l’idée de ce rattachement, rétorquent que “le temps viendra, vous verrez ; il faut que les esprits s’habituent” ; ceux qui, séduits par la croissance économique de la Chine, veulent faire de Bruxelles une enclave chinoise en pays flamand, qui serait entourée de communes à facilités où les Tibétains seraient autorisés à parler dans la langue de leur choix aux guichets de l’administration ; ceux qui souhaiteraient installer tous les Flamands dans une contrée désertique située dans le nord des steppes russes, une nouvelle terre promise où nos amis néerlandophones auraient tout loisir de créer un nouveau miracle économique ; les partisans de la suppression du flamand, du wallon et du français en Belgique, pour les remplacer par un espéranto typiquement belge, qui consisterait grosso modo à ne s’exprimer que sur le mode de l’indignation : “oui, mais dites, ça non, hein”, ” ça, excusez-moi, mais c’est du n’importe quoi”, ” je tiens à dire que je ne laisserai pas dire ce que vous venez de dire”, etc.

Voilà. Je ne vous en dis pas plus parce que je ne veux pas me faire piquer l’idée, mais je sens que DreamWorks va être chaud bouillant !

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