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[La semaine infernale, Gilles Dal] "Danser avec les étoiles ?"

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Maurice Béjart est parti danser avec les étoiles”. C’est en lisant ce genre de titre qu’on se dit que la poésie n’est pas un art facile. Parce qu’après tout, danser avec les étoiles, je veux bien : il s’agit d’une métaphore, on comprend l’esprit, l’hommage est là… mais, dès lors que cette formule est reprise en boucle à la télévision, à la radio, dans des centaines de dépêches et des milliers d’articles, ne perd-elle pas quelque peu de son charme ?

De la poésie, d’accord, mais qu’au moins, chacun fasse un effort pour trouver une finesse qui lui soit propre, une petite pépite personnelle !

J’ai cru devenir fou, la semaine dernière : moi qui suis sensible aux lieux communs, j’ai poussé la mégalomanie jusqu’à penser, l’espace de quelques heures, que les commentateurs et les journalistes s’étaient donné le mot pour me combler. “Le monde de la danse est en deuil : Maurice Béjart est parti danser avec les étoiles.” “Le monde de la danse est orphelin : Maurice Béjart s’en est allé rejoindre les étoiles pour danser avec elles.” “Le monde de la danse perd un monstre sacré : Maurice Béjart est parti diriger un ballet d’étoiles.” “Le monde de la danse perd son papa : Maurice Béjart parle poésie avec les étoiles.” Assez ! N’en jetez plus !

Lors du décès de Paul Bocuse, que faudra-t-il dire ? “Le monde de la gastronomie frappé de plein fouet : Paul Bocuse s’en est allé préparer des petits plats aux étoiles?”

On pourrait imaginer des tas de possibilités ! “Le monde du tennis terrassé : Justine Hénin est partie faire des smashes dans la voie lactée.” “Le monde du kick-boxing orphelin : Jean-Claude Van Damme est parti faire du full contact aux comètes.” “Le monde du ping-pong abasourdi : Jean-Michel Saive est parti mouiller sa chemise dans le cosmos.”

Non !Que dire, en plus, si des intérêts économiques sont mis à mal par des décès ?

“L’industrie de la vulgarité en faillite : Amanda Lear décède lors d’un gala au Papayou Club de St-Tropez.”

“Le personnel des teintures “Noir Corbeau” angoissé pour leur avenir : Bernard Tapie, leur principal client, terrassé par un infarctus.”

“Les ouvriers des usines Martini Bianco inquiets pour leur emploi : Michel Sardou succombe des suites d’une longue maladie.”

J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer à cette tribune les formules vaseuses comme : “le dernier monstre sacré” (à en juger par le nombre de derniers monstres sacrés qui nous ont quitté au fil des ans, je ne veux rien dire, mais la formule semble quelque peu absconse : il suffit de penser que lors de son décès, qui eut lieu il y a une petite dizaine d’années, Jean Marais fut qualifié de toutes parts de dernier monstre sacré… et que depuis lors, sont morts à peu près une quarantaine de derniers monstres sacrés), ou comme : “c’était un homme de coeur” (et, si le défunt était une véritable ordure : “c’était un homme de coeur… à sa façon”), ou encore comme : “nous sommes tous un peu orphelins”.

A propos de cette dernière formule, deux choses : tout d’abord, je comprends qu’on puisse être orphelin ou ne pas l’être, mais je ne comprends pas qu’on puisse être un peu orphelin (” alors voilà, j’ai une terrible nouvelle à vous annoncer : vos parents sont morts; vous êtes un peu orphelin”) ; ensuite, j’en ai assez d’apprendre un jour sur deux, en ouvrant le journal, que je suis orphelin : j’aimerais pouvoir décider tout seul si oui ou non, je suis triste à cause d’un décès.

Sinon, un autre passage obligé est cette superbe envolée lyrique, resservie à chaque décès de comique : “il est allé rejoindre ses collègues Coluche, Desproges et Le Luron; ils doivent bien se marrer, là-haut”. Assez de poésie à la petite semaine ! Il suffit ! Non, ils ne se marrent pas : ils sont morts !

Et encore, je vous épargne l’infâme : “de là-haut, je suis sûr qu’il nous regarde”. Celui-là, c’est le plus pénible d’entre tous, toutes catégories confondues. Et ce, pour trois raisons. “De là-haut”, tout d’abord : les experts sont formels, quand bien même nous regarderait-il, ce serait plutôt de là en bas. Ensuite, “je suis sûr (qu’il nous regarde)” : voilà qui est bien présomptueux ! Il y a des milliards d’être humains, et ce serait juste nous qu’il regarderait ? Et enfin, “(je suis sûr qu) il nous regarde” : comme je l’expliquais encore ce week-end à mon fils de trois ans, quand on est mort, on ne bouge plus, on ne respire plus, on ne mange plus, et… on ne regarde plus ! Donc, par pitié, épargnez-nous à l’avenir ces formules grotesques !

Là-dessus, je vous laisse et, pour terminer sur une note de poésie : je m’en vais danser avec les étoiles.

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