1. Home Page
  2. La Semaine Infernale

[La semaine infernale, Frédéric Jannin] C'est bien ou mal ?

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Je me suis dit, comme ça, l’autre jour qu’on n’arrête pas de nous inonder de journée “sans”. Vous voyez ce que je veux dire. Sans voiture, sans téléphone, sans alcool, sans tabac, etc. Il n’y aura bientôt plus une journée sans journée sans. En ces périodes de bonne culpabilisation de tout ce qui nuit à notre longévité et à la santé de notre planète, de bonne prise de conscience que si on ne fait pas quelque chose, tout risque de s’arrêter un jour, on a trouvé ce chouette moyen de bien sensibiliser. Les journées sans. Et ce que je me suis dit l’autre jour, c’est : “Pourquoi on n’organiserait pas une journée sans le bien et le mal ?”. Vous savez, ce truc qui nous plombe depuis notre plus jeune âge. A peine sorti de l’utérus, on se trouve aux prises avec ce jugement, cette estimation basique, cette évaluation primaire : c’est bien ou c’est mal ? Ne nous surestimons pas, on n’est pas plus sophistiqués que les bêtes ordinateurs, surtout les derniers modèles, quand on voit tout ce qu’on peut faire avec un système binaire. Un/zéro. Oui/non. Bien/mal. Et c’est parti pour toute notre civilisation ! Donc si on essayait, comme ça pour voir, une journée sans le bien et le mal. Sans ce bloody réflexe typiquement humain de glisser tout ce qui nous pend au nez du côté des bons ou du côté des mauvais. On pourrait essayer, juste un jour pour voir ce que ça donne. Plus besoin de se lever de bonne ou de mauvaise humeur. On se lève, c’est tout. On prend du vrai beurre, on met deux, trois ou quatre vrais sucres dans notre vrai café du matin ? La belle affaire. On s’en fout puisqu’on ne peut pas se dire que c’est mal. On lit le journal sans la moindre fatigue, sans le moindre stress, puisque jusqu’à vingt heures, on n’a plus le droit de juger, de s’indigner, de condamner, de s’insurger, de pousser un “tsssss !” devant les drames quotidiens, ou les multiples incompétences de nos décideurs.

Bien sûr, ça ne va pas louper : ce sera ce jour sans bien et mal que le gamin va s’amener. On le voit venir. “Papa, tu peux signer ça ?” “C’est quoi ? Ah ! Ton bulletin, et il est bon ou il est mauvais ?” “Tetetetete ! Pas aujourd’hui ! C’est mon bulletin. Il est. C’est tout. Bien ou mal, on s’en fout. Tu signes et tu te tais !” “Au temps pour moi… Ne fais pas ton gros malin, attends demain, tu vas m’entendre !”

Vous sortez la voiture, et vous n’émettez pas le moindre jugement sur la façon de conduire du crabe devant vous, celui qui essaye de faire faire un supersmile au contrôleur de vitesse sur le trottoir en roulant à du deux et demi à l’heure. Pas le moindre soubresaut à l’écoute des pubs superaffligeantes dans l’autoradio. Pas le moindre bronchement devant le collègue de bureau qui s’extasie toujours devant n’importe quoi. “Ouaaah ! Tu as vu Prison Break hier soir !” Vous me direz que c’était hier soir, mais c’est toujours le lendemain qu’on en parle et puis il faut encore peaufiner le projet. Comme pour la journée sans voiture, il faudra des dérogations, par exemple pour Hugues Dayez. Quoique… “Alors, cette semaine, signalons la sortie du dernier Woody Allen…” “Ah ! Et alors, qu’est-ce que ça donne ?” “Tetetete ! Ne comptez pas sur moi pour vous dire ce que j’en pense ! Je n’ai pas d’avis. Voilà. Le film est sorti. C’est fait ! C’est ! C’est tout ! Vous ne m’aurez pas aujourd’hui !” Ouaaaah… Eh ben, ça, ça fait un bien fou ! Quel monde merveilleux ! Quelle bonne idée ! Un immense message d’espoir pour la planète ! Vous verrez, on s’en sortira grandi, de la journée par delà le bien et le mal !

Voilà. Alors ? Mon billet ? Bien ? Pas bien ? Ça y est, ça recommence…

Add a comment

required but not shared or displayed