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[La semaine infernale, Frédéric Jannin et Thomas Gunzig] J' y étais !

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Drôle de truc. J’ai assisté, avec certains d’entre vous, à un phénomène de société. Très spectaculaire, parce qu’on ne sait pas, au moment où on le vit, qu’on est témoin d’un événement historique. Moi, je pourrai dire que j’y étais. Je précise. Il y a quelques semaines, le sémillant Thomas Gunzig nous a pondu et récité un texte sorti tout droit de sa plume en colère, vous vous rappelez ? Je le connais presque par coeur…

“Bande de cons ! Pas vous, cher public ! Les autres, les formateurs, informateurs, explorateurs, chefs de groupe, présidents de partis flamands, présidents de partis francophones, seconds couteaux, troisièmes couteaux, de gauche, de droite, les cathos, les écolos, les francs-maçons, les libéraux… Bande de cons de Flandre. Bande de cons de Bruxelles. Bande de cons de Wallonie.

D’abord, à tous ceux qui croient avoir gagné les élections d’il y a 5 mois, à tous ceux qui avaient un grand sourire, à tous ceux qui avaient les bras en l’air, le temps est venu de vous avouer quelque chose : les gens n’ont pas voté pour vous parce qu’ils vous aimaient. Les gens ont voté pour vous parce qu’ils étaient obligés. A la veille du 10 juin : dans les rues, les maisons, les bureaux, les gens hochaient la tête et se demandaient vraiment qui ils allaient pouvoir choisir parmi ce catalogue de nuls, de klettes, de nouilles, d’opportunistes agressifs, de carriéristes sans charisme, de mal fringués, de gros types à l’élocution problématique, de petits nerveux en pleine tendinite de l’ego, de semi-hystériques, de semi-mafieux, de cyniques, de je-m’en-foutistes, de ratés de tout le reste, de fils à papa, d’experts comptables en décrochage professionnel, d’entrepreneurs en faillite frauduleuse, de sinistres, de pas lavés, de faux gentils, de vrais méchants… Les Leterme, De Crem, Reynders, Milquet, Michel, De Wever, Maingain, Wathelet, Bacquelaine… Cette morbide collection de nevrosés qui nous gouvernent avec leurs troubles anxieux, leurs troubles dissociatifs, leurs troubles psychosexuels, leurs troubles obsessionnels compulsifs. Et en plus, ils sont tous… si moches.

Cette élection, à tout le monde, ça a un peu fait l’impression d’un de ces mariages forcés que l’on organise dans des pays très loin d’ici. C’est comme si on avait été une jeune fille devant choisir entre le vieux marchand qui pète au lit ou l’arrière-cousin qui ne se brosse pas les dents. Bande de cons, vous n’avez rien gagné du tout. Si c’était possible, on reprendrait nos voix et on ne les donnerait qu’après les négociations, à ceux qui auraient su être un peu intelligents, un peu sobres, un peu humains. Mais non, donner c’est donner, reprendre c’est voler.

Vous aviez un chouette petit pays, pas très grand, mais bien équipé de voisins plutôt sympas, bien situé, avec la mer, avec la forêt, avec pas trop de charges. Vous aviez une chouette petite population, pas parfaite-parfaite, mais en gros, ce n’étaient pas des talibans non plus, c’étaient pas des Contras, c’étaient pas des Tigres Tamouls. Une petite population de fabricants de pralines, de marchands de kayaks, de chanteurs à texte, de comiques parfois drôles, de stylistes un peu punks, de postiers plutôt polis, de sportifs en minijupe, de flics à moustaches, des tas de gens prêts à travailler plus, à gagner toujours moins et à ne pas dire grand-chose. Une petite population qui mélange le goût des mandarines à celui des spéculoos. Une petite population qui n’a rien contre l’Eurovision ni les horodateurs. Une petite population qui rend visite à ses grands-parents le dimanche pour boire un café après le chicon gratin. Une petite population de buveurs de bière et de joueurs de kicker. Une petite population qui emmène ses enfants à Plankendael au printemps et à Paradisio en hiver…, comme ça, sans ennuyer le monde, en VW Touran.

Une petite population prévoyante qui a quelques euros sur un compte épargne et une concession au cimetière. Une petite population qui est plutôt toujours d’accord et, en gros, une petite population qui ne veut pas d’histoires. Et vous, bande de cons, tout ce que vous trouvez à faire, ce sont ces petites réunions où l’on tourne encore plus en rond que sur un circuit Märklin; ce sont ces petits comités aussi stériles qu’un champ de patates à Tchernobyl; ce sont ces petites réactions à chaud qui me rappellent les crises de mon chat quand il n’aime pas la marque de ses croquettes; ce sont ces airs de petits tribuns en solde; ce sont ces grands chevaux sur lesquels vous montez et qui seront toujours comme ces petits poneys tristes de la foire du Midi. Tout ce que vous trouvez à faire, c’est de vous tirer dans les pattes pour gagner une floche qui vous donnera droit à un tour gratuit sur ce manège sinistre que vous appelez “politique”.

Bande de nuls ! Alors moi, j’ai eu une idée : une grève, une vraie grève, une bonne grève, une grève de tout le monde, tant que la politique belge ressemblera à une conserve de rollmops : les enfants n’iront plus à l’école, les femmes enceintes n’accoucheront pas, les déménageurs ne déménageront pas. Navetteurs, ne navettez plus. Alcooliques, n’alcoolisez plus. Chauffeurs, ne chauffez plus. Pilotes, mécaniciens, traiteurs, bouchers, pêcheurs, éboueurs, esthéticiennes, taxidermistes, strip-teaseuses, scaphandriers, géomètres experts, fleuristes, tradeurs, opticiens, huissiers, substituts, gourous, préfets, trésoriers, banquiers, infographistes, ajusteurs, analystes-programmeurs, techniciens hotline, proxénètes, dealeurs, animateurs, orthodontistes, urologues, animateurs socioculturels, fossoyeurs… Et tous les autres… Total stand by. On arrête tout… Et vous verrez que dans trois jours, ils feront moins les malins.”

Bon. J’ai failli vous faire le coup de balancer le texte de Thomas dans son intégralité et hop, fini le billet ! Mais j’ose pas. Bon. Donc, c’est un phénomène. D’abord parce que jamais un billet n’a été autant applaudi, que les gens du public se sont levés, que Thomas était interrompu par des cris d’enthousiasme, que les hommes venaient déposer des offrandes et que les femmes venaient se prosterner à ses pieds pour qu’il les touche ou guérisse leurs enfants malades, et qu’on était à deux doigts de refaire le coup de la Muette de Portici. Mais encore, parce que des semaines après, ce texte continue à circuler, à faire le tour de la planète Internet. Même ma soeur me l’a encore envoyé hier soir, comme si elle ne savait pas que je le connaissais (presque) par coeur. Les gens se sont appropriés ce coup de gueule du petit Thomas (“Quand je pense que je l’ai connu comme ça, je l’ai approché, je l’ai vu grandir, non, non, n’y voyez aucune vanité !”). En un seul clic, les gens font suivre (forwardent) le texte à tous leurs contacts, hop, en ignorant la source ! Au début, quand je le recevais dans mes mails, je me sentais obligé de répondre. “Je le connais, c’était dans la Semaine infernale, j’y étais !” Un phénomène ! Un smash à l’échelle planétaire ! Et ce n’est qu’un début ! Je suis prêt à parier que d’ici peu, il sera étudié dans les écoles, on l’analysera à la Sorbonne, on le publiera dans des anthologies entre Jacques Brel, Maurice Carême et Emile Verhaeren. Que l’arrière-petit-fils de Paul Louka ou de Plastic Bertrand le sortira en version rap techno, que Mère Teresa de Mesmaeker en fera une version chorégraphiée à Charleroi Danses. Génial !

Et je pourrai dire à mes enfants et petits-enfants que j’y étais. “Tu vois ce texte que tu as punaisé en poster au-dessus de ton lit, illustré par Folon ? Je l’ai pratiquement vu naître. J’ai assisté à son éclosion. J’y étais.” “Raconte ! Raconte encore, grand-père, le fameux soir du 8 novembre 2007 !”

Je me demande si je ne suis pas un peu jaloux, finalement. Bêêêêkes ! Vilain défaut ! Mais je sais que Thomas ne l’avait pas prémédité. On ne maîtrise pas les effets du succès. On fait un truc, tranquillement dans son coin, avec tout son coeur, et puis c’est le public qui décide, pas nous. Et c’est parfois très cruel. Ça fait très mal ! Tenez : en ce qui me concerne, le seul brol qui a fait le tour d’Internet, et qui tourne encore aujourd’hui, c’est le clip fait avec Sergio, “Plein comme une andouille !” OK. Faut assumer. Chacun son image. C’est le propre de cette équipe. Les génies pamphlétaires côtoient les gros bouffons. Hé bien, merci ! Merci les gens ! (sanglots)

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