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[La semaine infernale, Gilles Dal] Choc culturel

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

J’ai assisté, la semaine dernière, à ce que d’aucuns pourraient être tentés de qualifier de drame national : alors que je faisais la file pour aller présenter mes respects à Saint Nicolas (enfin, attention : je n’étais pas tout seul, j’étais avec mon fils aîné), j’ai constaté avec effroi que Saint Nicolas ne parlait plus un mot de français… Saint Nicolas était devenu flamand !

Je l’avais pourtant croisé trois jours plus tôt, sur son magnifique trône disposé au rayon sorties de bain d’un grand magasin, juste à gauche des gants de toilette, et là, il parlait encore parfaitement français. Que s’était-il donc passé en si peu de temps ? Venait-il de vivre un traumatisme particulier ? Avait-il reçu des menaces ? Etait-il devenu flamingant ?

Je me souviens de lui, lorsqu’il était encore francophone, souriant, convivial, distribuant caramels et autres douceurs avec la maestria que chacun lui connaît depuis le début de sa carrière, ponctuant sa prestation de divers “tu as bien travaillé à l’école ?” (en français dans le texte, donc) et autres - ce qui, je dois dire, était moins sympa de sa part - “voilà, voilà, les enfants qui sont déjà venus sur mes genoux peuvent s’en aller maintenant, parce que quelques enfants, ça va, mais là ça commence à faire beaucoup dans mes pattes !” - sortie dont j’avais déduit que Saint Nicolas n’était pas toujours hyper professionnel, mais bon, tout le monde a ses jours sans. Ce n’est évidemment pas de chance si Saint Nicolas a justement son jour sans un 6 décembre, mais loin de moi de vouloir le critiquer. Ni, d’ailleurs, de déballer sur la place publique - car la délation n’est pas mon genre - que je l’ai vu refuser de donner un caramel mou à une petite fille, au motif que les mous, c’étaient ses préférés, qu’après celui-là il n’en avait plus, et qu’en plus, lui, il était assis là depuis plus de six heures, en train de bosser, tandis qu’elle n’avait fait la file que cinq minutes, et qu’elle était en congé, alors qu’il ne voyait pas pourquoi lui aussi n’aurait pas droit à un petit quelque chose qui lui faisait plaisir. J’assistais en live à un burn out de Saint Nicolas qui, dans un ultime assaut, a même ajouté que si elle les aimait tant que ça, les caramels mous, elle n’avait qu’à demander à ses parents de lui en acheter, parce que, je cite dans le texte, “Saint Nicolas, ça ne veut pas non plus dire pigeon”.

Bon, j’exagère un peu : ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça, mais il avait l’air mal embouché, et comme le Saint Nicolas flamand dont je vais vous parler semblait, quant à lui, tout à fait charmant et de bonne volonté, je tenais à cette précision pour bien souligner que je ne souhaite en aucun cas attiser les tensions linguistiques dans ce pays.

Mon Saint Nicolas flamand, donc, avait l’air de ne rien comprendre à ce que lui disaient les petits francophones. Quand un de ces charmants bambins venait lui serrer la main, et lui demandait par exemple un train électrique, il répondait d’un oeil fuyant quelques mots au hasard, dont on avait dû lui dire qu’ils le tireraient d’affaire en toutes circonstances : “euh… oui, oui, merci, voilà, allez au revoir”. Quand une question plus précise lui était posée, il semblait presque perdre ses moyens, et s’en tirait vaille que vaille par l’une ou l’autre formule toute faite, qu’il avait selon toute vraisemblance mémorisée phonétiquement : “bien sage avec tes parents ?”, ” pas fait trop de bêtises ?”, ” là-dessus, à l’année prochaine !” Si le gosse insistait, le malheureux vieil homme barbu à la lourde tenue devenait un brin suant, et tentait de donner le change, qui en simulant une quinte de toux, qui en allant se dégourdir les jambes. Résultat des courses : il allait se dégourdir les jambes toutes les trois minutes… ce qui, on a beau dire, cassait quelque peu la magie. “Alors, les enfants : voilà le Grand Saint, mais il va falloir un peu patienter pour aller lui serrer la main, parce qu’il va faire un petit tour pendant quelques minutes.” Non !

Je rigole, mais je m’imaginerais mal, moi, déguisé en Saint Nicolas, face à une foule de marmots ouzbeks, qui me parleraient tous ouzbek, et dont je ne connaîtrais pas les moeurs; ignorant par exemple que caresser les cheveux, là-bas, revient à maudire toute la famille pendant sept générations, ou qu’offrir une gaufrette vanillée revient à insulter tous les ancêtres du côté maternel.

Il n’en demeure pas moins que mon fils n’a pas compris pourquoi, après qu’il ait exprimé le souhait de recevoir une maison de chevalier, Saint Nicolas lui a répondu en lui demandant s’il avait des projets de vacances, ni pourquoi, à la fière affirmation : “j’ai été très sage”, le patron des écoliers lui a rétorqué : “voilà, voilà; enfin, ce n’est pas tout ça”.

Mais bon, je suis sûr que dès qu’on aura un gouvernement, ce genre de problème ne se posera plus…

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