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[La semaine infernale, Frédéric Jannin] Nous aussi, ça nous est arrivé

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Quel monde cruel ! Mais quel monde cruel ! Vous n’êtes pas sans ne pas ignorer de ne pas savoir que je suis prêt à rire. J’ai toujours été sensible à ce curieux réflexe typiquement humain qui consiste à ouvrir brusquement le rideau des zygomatiques et se secouer plus ou moins violemment en réaction à quelque chose de “rigolo”. Etant aussi adepte des nouveaux moyens de communication et autres nouvelles technologies, je fais partie de ceux qui passent trois bons quarts d’heure en début de journée à trier la boîte de réception des mails, et à visionner les multiples sujets à “LOL” d’Internet. L’autre jour, un ami dont je tairai le nom a eu le clic facile. Son doigt a dû fourcher. Il a forwardé à tous ses contacts un petit film, fait à la webcam par un petit garçon, huit-dix ans, qui s’approche de la caméra, entame un tour sur lui-même et se fracasse le visage sur le coin d’un bureau. D’un réalisme poignant. Bam ! Pendant une ou deux secondes, on ne le voit plus, puis on entend un très touchant “Mom ! mom !” Quel monde cruel ! Bon, ce serait mentir et se voiler la face de prétendre qu’on n’a pas ri. Le coup sur la tête a toujours été déclencheur de rire. C’est pas pour rien qu’on parle de “chute” à la fin d’une blague. Mais on peut se demander. On n’est pas obligé, mais on peut se demander pourquoi ça fait rire alors que ça fait vraiment mal. Ici, la cruauté est accentuée par le fait que c’est un petit gamin, qu’il prépare une pirouette pour la caméra, et que son réflexe naturel d’appeler sa maman le rend encore plus craquant. Pauvre petit bilou… Mais pourquoi rit-on ? Pour partager sa douleur ? Pour commémorer la misère universelle ? Sans doute ne rit-on que parce que, nous aussi, ça nous est arrivé. On en a aussi pris plein la gueule, au moins une fois dans notre vie. Donc, on se protège de ce douloureux rappel. On décapsule, sans doute aussi par compassion. On est peu de chose…

Alors, c’est marrant parce qu’il y a évidemment des tas d’internautes qui s’expriment devant le petit film, qui veulent partager leurs impressions devant le monde entier virtuel. Il y a les honnêtes gens qui avouent qu’ils ont ri. Il y a bien sûr ceux qui protègent leur fragilité en arborant leur solidité, en jouant les durs, ceux qui veulent montrer qu’ils sont encore plus cruels que cruels en disant : “J’espère qu’il s’est pété un oeil, ce sale môme !” et puis il y a les incontournables donneurs de leçon. Ceux qui s’indignent. Ceux qui refusent que l’on rie de tout ! “Stop ! C’est brutal !” Ceux dont les grands-parents auraient dit : “Monsieur Chaplin ! Assez ! Arrêtez cette escalade de la violence ! Ce pauvre vagabond qui ne rate pas une peau de banane, une bouche d’égout. C’est inadmissible !” “Messieurs Laurel et Hardy, je vous somme d’arrêter immédiatement de stigmatiser les pauvres gens qui n’ont pas mérité de recevoir des tartes à la crème dans la figure ! C’est une véritable boucherie (ou plutôt ici pâtisserie) !” “Monsieur Eisenstein, si vous croyez nous faire marrer avec un landau qui dégringole un escalier, détrompez-vous ! Il ne faudra pas s’étonner que nos enfants et petits-enfants perdent leurs repères avec de tels exemples pour la jeunesse !”

Mais on rigole, on rigole, et peut-être faut-il laisser planer le mystère, ne pas se poser trop de questions, arrêter de tenter de comprendre le pourquoi du comment on rit. Laissons ça aux sociologues, les Sarah Kofman et autres Bergson qui s’y sont attelés avant de s’y casser les dents ! Ouaaah ! Ça, ça me fait rigoler ! La gueule de Bergson, dis, qui se fracasse les dents sur le coin du rire et de l’ironie ! Bam ! “Mom ! Mom !” Gag ! Très gag !

Ben tiens, voilà une bonne chute à mon billet ! Très imagée ! Tsssss… Quel monde cruel !

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