1. Home Page
  2. La Semaine Infernale

[La semaine infernale, Frédéric Jannin] "Bon viol mort park Aldi"

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Je savais que j’étais casanier, mais pas à ce point-là. J’avais déjà ressenti ce malaise, il y a une dizaine d’années, lorsque j’ai dû quitter Uccle-Calevoet pour me rendre à je-ne-sais quelle mondanité d’auteurs de BD. Cette fois, au retour d’Angoulême, je me suis dit une fois de plus : c’est la dernière fois. Bon. C’était juste un intro. J’y viens. Au retour, donc, j’ai vidé les poches de mon pantalon, comme il est bon de le faire régulièrement, surtout avant de faire la grande lessive du retour, et surtout s’il contient un GSM.

Qu’est-ce qu’on peut accumuler comme brol pur dans des poches ! Parmi les objets en tout genre, un petit papier, sur lequel j’avais inscrit un truc illisible (c’est à ça que j’ai vu que c’était mon écriture…). “Bon viol mort park Aldi”. Je sortais de trois jours aussi intenses qu’exténuants, et je ne voyais absolument pas ce que voulait dire ma prose pour le moins lapidaire. “Bon viol mort park Aldi”. Un vrai message codé. Je ne savais pas que ces quelques mots sur ce petit bout de papier allaient me mener dans une telle détresse existentielle. J’étais loin de me douter dans quelle aventure abracadabrante ce petit message anodin allait me conduire. “Bon viol mort park Aldi”. Sûrement des mots clef. Il fallait que je rassemble mes esprits, que je traque les moindres cul-de-sac de mes pauvres neurones pour élucider le mystère de “Bon viol mort park Aldi”. Certes, durant les trois jours dans un festival de bandes dessinées, on rencontre beaucoup de monde. On croise une quantité phénoménale de professionnels (quand on pense qu’au départ c’était une bande de copains), un nombre impressionnant d’auteurs, de lecteurs et de collectionneurs plus ou moins acharnés. On assiste à bon nombre de cocktails de lancements, de verres de l’amitié, de libations fraternelles, de banquets et d’agapes dignes de festins de fin d’albums d’Astérix. Mais là, black out, pas le moindre indice. “Bon viol mort park Aldi”. Peut-être ai-je assisté, voire participé, à une scène tellement traumatisante que ma mémoire a préféré l’occulter définitivement ? Peut-être une épitaphe, ou une ultime déclaration, les derniers mots d’une victime agonisante ? Le roman policier n’est vraiment pas mon fort. J’ai l’impression d’être l’objet d’une machination promotionnelle pour le prochain Blake et Mortimer ou le dernier Ric Hochet… “Bon viol mort park Aldi”. Je pourrais faire preuve d’astuce, tenter de décoder le message comme dans un Gil Jourdan ou un Tif et Tondu… “Bon viol mort park Aldi”. A lire à l’envers ? “Nob Loïv Trom Krap Idla”. Bof… Ou “Idla Krap Trom Loïv Nob” ? J’y ai passé la nuit, j’ai tout essayé : une lettre plus loin dans l’alphabet, une lettre plus près, remplacer les voyelles par les consonnes correspondantes, je vous passe les détails.

Le lendemain matin, j’ai choisi la facilité, j’ai appelé Gilles Dal, mon jeune confrère scénariste de l’excellent “Malaise vagal” (qui vient de sortir chez Fluide Glacial, si ça c’est pas de la pub copinage…). Gilles m’a accompagné dans cette dure épreuve d’Angoulême 2008 et Gilles est plus jeune que moi, a sûrement une mémoire plus fraîche. Ni une ni deux. “Gilles, un petit papier plié en quatre avec “Bon viol mort park Aldi”, ça te dit quelque chose ?” Il n’a pas fallu le cuisiner davantage. En cinq secondes, Gilles m’a rappelé qu’il s’agissait de la blague de Bob ! La blague de Bob ? “Mais oui, rappelle-toi, en fin de soirée. Bob De Groot nous a raconté sa blague. Et comme tu as dit que tu les oubliais systématiquement, il t’a arraché une feuille de son carnet et t’a incité à la noter pour pas l’oublier.” Ça y est ! Tout m’est revenu d’un coup sec. Je savais que j’écrivais comme un cochon, et “Bon viol mort park Aldi”. Bon, c’était pas “bon”, c’était “Bob”. Ben oui, j’avais d’abord écrit Bob pour ne pas oublier. Puis Viol, c’était pas viol, c’était vieilles ! Bob Vieilles Park Aldi, le parking du Aldi ! Bon sang, mais c’est bien sûr ! Puisque vous avez été très sages de m’écouter (de me lire), je n’y couperai pas, et vous non plus. Voici la blague de Bob. Notez-la pour ne pas l’oublier. Mais lisiblement, cette fois.

Deux (très) vieilles dames se rencontrent :

-Ooooh ! Tu as déjà pensé à après ta mort, toi ?

-Après ma mort ?

-Mais oui, après ta mort… Tu te feras enterrer ou incinérer ou quoi, ou qu’est-ce ?

-Houlààà, mais non, j’ai pas encore pensé à ça.

-Parce que moi, j’ai déjà tout expliqué, tout écrit, tout dit.

-Ah bon ?

-Oui. Je veux être incinérée et que mes cendres soient dispersées sur le parking du Aldi.

-Sur le parking du Aldi ?

-Oui. Comme ça, au moins, ma famille viendra me voir chaque semaine.

Merci Bob !

Add a comment

required but not shared or displayed