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[La semaine infernale, Sergio Honorez] Festival !

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

La semaine dernière se déroulait le Festival de bandes dessinées d’Angoulême, le trente-cinquième du nom. On voit la scène d’ici : il y a trente-cinq ans, quelques édiles municipaux se sont réunis. Bon, personne ne vient jamais chez nous. Qu’est-ce qu’on peut inventer pour faire venir les touristes ? Une foire aux boudins ? Trop ringard. Un salon de l’auto ? Pas dans nos moyens. Batibouw ? Trop belge. Heu…, je dis peut-être une connerie, mais si on faisait un festival de bandes dessinées ? C’est porteur, ça, la bande dessinée ?

Depuis, le festival a gagné ses lettres de noblesse, puisque pour sa trente-cinquième édition, outre une multitude d’auteurs prestigieux, on comptait parmi ses invités Frédéric Jannin et Gilles Dal, ici présents. Un festival de bandes dessinées, c’est d’abord 99 pc de mecs pour 1 pc de filles, et encore, elles attendent leur jules en dehors du chapiteau tandis que celui-ci entame trois heures et demie de file pour faire dédicacer ses 45 tomes des Aventures moyenâgeuses de Jérémie Bazar et son Hamburger Parlant.

Dans un festival de bandes dessinées, les organisateurs mettent un point d’honneur à faire comprendre que la bande dessinée, c’est tout de même autre chose que juste des dessins avec des bulles : on parlera volontiers des Schtroumpfs comme un symbole persistant de narration figurative séquentielle, de l’importance de l’espace intericonique bobetbobettien, du paradigme de la relation ambiguë entre imaginatif collectif et sexualité torride chez Tif et Tondu. Bref, on se marre bien à démontrer que la bande dessinée, c’est du sérieux.

Un festival de bandes dessinées, c’est plein d’auteurs qui se partagent entre séances de dédicaces et banquets communs, propices aux rencontres. Malgré l’étroitesse du milieu, ils ne se connaissent pas forcément tous, le métier de dessinateur de bédé restant un plaisir solitaire. Ce qui explique que nombre d’entre eux soient sourds.

Salut, je te présente “Cucuf”, c’est le dessinateur de Poulicak.

Ah, salut Cucuf, moi c’est Véhemji, je dessine Pilou et Pilounette. Tu connais mon scénariste ? Péji ?

Oui, c’est un milieu dans lequel on rivalise d’imagination pour se trouver un pseudonyme un tant soi peu original. C’est Hergé qui ouvrit la voie, en employant les initiales de son prénom et son nom de famille. Les autres l’ont suivi, en se disant que c’était là et nulle autre part ailleurs que résidait la recette de son succès.

Bonjour, je m’appelle Heldé, je dessine Pilaf et Prouti.

Salut, moi, c’est Hemté, je dessine Jessica Mangouste.

Salut, moi, c’est Huzède, je dessine les Aventures de Ronchon le Cochon.

Au fil des ans, le système s’est raffiné : c’est ainsi que Rudy Vanderslagmolen, l’auteur de Duck Stany signe Védéhes, Geoffrroy De Keukelenaere signe les gags de Victor Grenaille du pseudonyme de Dékaka.

Dans un festival de bandes dessinées, ce qui est chouette, c’est qu’après les séances de dédicaces, les dessinateurs, les scénaristes, les coloristes, les éditeurs, les attachés de presse, se retrouvent au bar en toute convivialité pour partager leurs diverses expériences.

Toi, Véhel, je te parle pas, t’es un commercial, ta série, c’est vendu au capital. Ma série Pirouli et Piroula, c’est pas du bassement commercial, comme ton Georges la Rame !

Ce à quoi Véhel répondra invariablement. Oui, mais moi, je travaille pour le public. De quel droit tu juges ce qui est artistique ou pas ? Je n’accepte que la sanction du public.

Le public, le public, toi et les autres, vous ne pensez qu’au public. Moi, je pense à l’art, moi, Monsieur. D’ailleurs, je te pisse à la raie.

Oui, quoi ?

On ne t’a pas sonné, Laraie (Laraie est l’auteur de Sonny et Laventure, les Chevaliers du Fiel, une bande dessinée à personnages casqués).

Après quatre jours de cette excellente ambiance, tout le monde rentre chez soi fourbu mais heureux, abandonnant les Angoumoisins à la torpeur de leur petite ville de province.

Amis bourgmestres, députés régionaux, sénateurs, n’hésitez plus : vous cherchez une idée originale susceptible de vous apporter honneur, ministres et voix d’électeurs. Organisez votre propre festival de bandes dessinées, et participez au souffle épique de la figuration narrative séquentielle !

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