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Dans les années 70, Andy Warhol promettait à chacun de nous son quart d’heure de célébrité. Evidemment, il s’agit d’une moyenne établie entre le couillon qui fait coucou durant 24 secondes derrière le journaliste couvrant le déraillement du train Enghien-Hal et les gloires plus pérennes comme celle de Jésus-Christ, d’Einstein ou d’Alain Barrière. Quoi qu’il en soit, entre la Société du Spectacle décrite par Guy Debord et les images de l’anniversaire du petit-neveu placées sur YouTube, on sent bien que cet appétit de reconnaissance nous touche tous à des degrés divers.

Nous n’en mourrons pas tous, mais en sommes tous atteints !

Prenons un cas de figure au hasard : je suis un petit jeune homme brun à l’air sévère, d’une trentaine d’années. Ma mère tenait jusqu’il y a peu un salon de coiffure à Pont l’Abbé. Malgré ma ressemblance avec Tom Cruise, les crétins collègues de la banque qui m’emploie me trouvent un peu terne, un peu falot. Et voilà qu’en ce creux d’hiver qui, selon je journal “Le Monde” est la période de l’année où les cas de suicides au gaz sont les plus nombreux, j’ai décidé de prendre mon quart d’heure.

Enfin, je veux dire par là que j’ai décidé de prendre mon quart d’heure de gloire.

Ma décision est prise, il ne me reste plus qu’à trouver le moyen d’atteindre cet objectif. Comme je suis trop âgé pour entamer la carrière de violoncelliste ou de judoka qui pourrait me permettre d’atteindre la notoriété, j’opte plutôt pour l’intervention sauvage. Le geste imprévisible. Je passe donc en revue les coups d’éclat qui seraient susceptibles de braquer sur moi les projecteurs de l’actualité. Courir tout nu sur le terrain lors du match Lokeren/Anderlecht.

Venir témoigner à visage découvert dans le “C’est la Vie en plus” consacré aux cancers de la prostate dans les familles recomposées. Entrer dans le Guinness Book des records pour le plus grand cougnou jamais confectionné. Ecrire un livre dans le genre “Mon ami, Michel Nihoul”. Ou alors, devenir fermière de cristal… Non, fermière de cristal, ça ne va pas être possible, d’abord parce que je suis un homme. Ensuite parce que je ne suis pas fermier mais banquier… Finalement, le plus simple serait encore d’inscrire mon fait d’arme dans le contexte de mon activité professionnelle ! Taguer la vitrine de mon agence d’un grand “Tous pourris” ? Diffuser sur mon site Internet, la liste de mes clients qui possèdent un compte aux îles Caïman. M’immoler par le feu devant le siège social, comme Jan Palach.

Me faire passer dans Face Book pour Jean-Claude Trichet…

Non, tout cela est d’un banal ! D’un convenu ! (court silence). Ça y est, je crois que je tiens mon idée ! Ah, ils me prennent pour un demi-sel sans envergure ! Je vous jure qu’ils vont en baver ! Je vais profiter de ma position de trader dans le domaine des dérivés sous actions, pour organiser une petite fraude de 3 milliards d’euros. Non, pour une somme pareille, ils risquent de ne pas même diffuser ma photo. Non, je vais plutôt organiser une petite fraude de 5 milliards d’euros. La vache, quand je pense que sur les photos de classe, on m’a toujours confiné au dernier rang.

Ma revanche va être terrible ! Ma performance va reléguer le nom de Nick Leeson dans la catégorie des petits zizis de la malversation bancaire. Durant des mois, le prénom de Jérôme sera le plus en vogue auprès des nouveau-nés, loin devant Milan, Noah et Mohamed. Un jour, Arte Belgique me consacrera une soirée thématique.

Mon nom placé dans Google renverra à plus de deux millions et demi d’occurrences, là où Daniel Ducarme n’en obtient que 7 123 !

Et le premier journaliste qui prétend que c’est le stress qui m’a poussé à la faute, où que finalement je ne suis qu’un fusible à qui faire porter le chapeau, je lui casse la gueule. Je suis un trader solitaire ! Je suis le seul responsable de ce scandale ! Tiens, j’ai lu qu’un gérant d’une agence bancaire de Perwelz avait été interpellé vendredi pour un détournement estimé à… un million d’euros ! Oouuuuh, le minable ! Oouuuuh, le ringard ! S’il atteint avec ça les 45 secondes de gloire, il peut s’estimer heureux !… Oouuuuh !