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[La semaine infernale, Sergio Honorez] Belge raffiné, français vulgaire

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

“Merci de me poser cette question. D’ailleurs, je vous remercie de me l’avoir posée, parce que c’est une très bonne question, et d’ailleurs, et vous le savez très bien, moi, je me mets toujours à la place de vos auditeurs, et c’est tout à fait le genre de questions que j’aurais voulu me voir poser. Il faut, évidemment, mettre les choses en perspective, et ce qui m’intéresse, moi, et mon équipe dont je salue, si vous le permettez, le travail accompli ces dernières semaines, ce qui m’intéresse, c’est le bien-être de nos concitoyens. Et nos concitoyens n’ont que faire de querelles politiciennes, ce qu’ils veulent, nos concitoyens, c’est du bien-être. Et je dois vous dire que depuis des semaines, des mois, des années, que j’ai décidé, humblement, de consacrer mon temps au bien-être de nos compatriotes, c’est ce qui m’intéresse au plus haut point, c’est justement leur bien-être.

Ça, c’est un homme politique belge, le matin, à la radio, sur la Première. Langage raffiné, élocution facile, circonlocutions travaillées, plus-que-parfait du subjonctif parfaitement maîtrisé. C’est du Bossuet, du Lamartine, c’est digne d’un grammairien, d’un académicien des Arts et Lettres, ça vous remonterait les bretelles de n’importe quel linguiste distingué français.

“Casse-toi, sale con.”

“Casse-toi, sale con.” Ça c’est un homme politique français. C’est vulgaire, c’est plat, c’est du français de maintenant. C’est pas du Fénelon, pas de La Boétie, pas même de l’Alain Delon. Là où Mitterrand (prononcez : “Mithrand”) nous faisait dans le Barbara ou dans le Moustaki, Sarkozy nous fait dans le Hallyday, façon : “Quoi, ma gueule, qu’est-ce qu’elle a, ma gueule ?”

Oui, dans la vague relation amour-haine qui nous unit à nos voisins d’outre-Quiévrain, on dirait que les rapports se sont inversés. L’esprit français, si raffiné, les valeurs de la république, si sophistiquées, sont battues en brèche par la logorrhée étudiée d’un homme politique belge à base de noeud papillon.

On pensait le Belge lourd, balourd et plat, et voici qu’à côté de Nicolas Sarkozy, n’importe quel André Flahaut, Louis Michel ou Jean-Luc Dehaene possède la légèreté d’une libellule et le chant délicat d’un colibri. Yves Leterme, Bart de Wever, Olivier Maingain, José Happart ? Des poètes, je vous dis, inspirés par les muses, je rajoute.

Bon, on ne va pas en rajouter sur Sarkozy, qui se mord probablement les doigts de cette sortie au Salon de l’Agriculture. On imagine Carla Bruni lui nettoyer la bouche au savon.

Mais c’est comme la mode, on risque d’être contaminés. On imagine tout aussi bien Michel Daerden à la prochaine Foire agricole de Libramont si, d’aventure, un quidam refusait de lui serrer la main : “Vast-y fér cloper tat’gueu !” , Charles Piqué lors de la Foire aux Vignerons de Saint-Gilles : “Smeerlap ! Boding !”

Juste retour des choses, délicate balance du bon goût français, d’un côté un discours raffiné qui ne dit rien, mais qui dit ce rien avec un langage pour le moins châtié, et de l’autre un président de tous les Français qui dit crûment son vide intellectuel, c’est finalement chou vert et vert chou.

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