1. Home Page
  2. La Semaine Infernale

[La semaine infernale, Gilles Dal] "Honte mondiale"

The 2008-06-14 at 17:48 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Dites, je reviens sur la fameuse vidéo, qui a pas mal circulé sur Internet, de Max Mosley, le président de la Fédération internationale de l’automobile, en train de se faire fouetter par des professionnelles de l’amour tarifé déguisées en kapo allemand… Dites un chiffre ! Je ne parle pas du nombre d’indépendantes complémentaires appartenant au personnel fouettant, qui d’ailleurs, j’imagine, ont pu déduire en frais professionnels le fouet ainsi que les sympathiques déguisements, mais bien du nombre de fois que cette vidéo a été visionnée. Du nombre de clics. Eh bien ce chiffre, je vous le livre ici : 22 millions ! 22 millions de personnes ont déplacé le curseur sur leur écran, puis ont cliqué en se disant : “Je vais quand même une fois aller jeter un oeil là-dessus, par curiosité.” 22 millions!

Pensez à la dernière situation humiliante que vous avez vécue devant témoins : une chute sur un trottoir, plusieurs tentatives successives de vous garer devant une terrasse bondée, une danse en solitaire dans une salle d’attente avant de vous rendre compte que le miroir était sans tain, une porte d’ascenseur qui s’ouvre trop vite, quand vous n’avez pas encore fini de resserrer votre ceinture… Pensez à ces instants, multipliez le sentiment de gêne et d’humiliation que vous avez ressenti alors par mille, parce que, quand même, le Mosley est plusieurs coudées au-dessus des petits exemples que je viens de vous citer, ensuite dites-vous qu’il n’y avait pas dix témoins, ni quinze, ni même vingt, à votre grand moment de solitude, mais bien 22 millions. Et pire : que non seulement ces 22 millions de personnes vous ont vues, mais qu’en plus, elles pourront continuer à vous voir tant qu’elles le voudront, pendant des mois et des années, plusieurs fois par jour si ça leur chante ! En entendant ça, égoïstement, on se sent déjà un peu mieux, non ? On pense à son dernier moment de solitude, et on se dit : allez, à la réflexion, je ne m’en sors pas si mal.

Cela dit, ce n’est pas de chance, pour ce Max Mosley : il aurait fait ça il y a quinze ans, ou même moins, que personne n’en aurait rien su. Et même, à supposer que quelqu’un l’eût dénoncé, il se serait indigné avec force : comment !, moi ?, pensez-vous !, jamais de la vie !, enfin quoi ?, pour qui me prenez-vous ?, etc. Problème : là, à moins de hurler à des images trafiquées, à un coup monté mis en place conjointement par le Mossad et la police d’Ixelles, les images parlaient. Ah, ces satanées images qui coupent court à toute contestation !

Imaginons que, si les webcams avaient existé plus tôt, des générations entières auraient pu voir Winston Churchill mort bourré, dans son bunker de Londres, en pleine guerre, interprétant “La digue du cul” devant un quarteron de haut-gradés, ou bien Louis XIV faisant un coup de boule à Saint-Simon en pleine galerie des glaces à cause d’un texte qui lui avait déplu… C’est que les grands hommes, eux aussi, ont leurs faiblesses ! Gageons qu’il s’en est fallu de très peu pour que ne circulent sur Internet des images accablantes de l’abbé Pierre dépassant dans une file de boulangerie ; d’André Malraux mettant dans sa bouche un bonbon sans l’avoir mis préalablement dans son petit sachet, et donc sans l’avoir payé ; de Jésus-Christ, juste avant d’être crucifié, faisant un croche-pied à l’un des deux voleurs au milieu desquels il s’apprêtait à vivre son supplice ; du Dalaï Lama hurlant sur son coiffeur parce qu’il n’avait pas demandé cette coupe-là ; du général de Gaulle sortant d’une salle de cinéma, mais rentrant directement dans une autre sans repasser par la caisse à l’entrée pour ne pas avoir à payer de deuxième ticket… Tout cela est possible !

Peu probable, mais possible : comment le savoir ? Croit-on vraiment que Napoléon Bonaparte passait ses journées avec son bicorne sur le crâne et une longue-vue dans la main ; que le dimanche, il n’était pas de temps en temps bien à l’aise ? Pense-t-on que Lao-Tseu ne proférait que des sentences définitives, et qu’il ne lui arrivait pas parfois de se lâcher, en se plaignant par exemple de la mauvaise cuisson d’un plat ? “C’est immangeable, renvoyez-moi ça en cuisine !” : une citation, il est vrai, moins glorieuse que son plus classique “sois avare de tes paroles, et les choses s’arrangeront d’elles-mêmes” mais, à supposer qu’il ait prononcé cette phrase un jour, le souci de vérité historique n’impose-t-il pas de la ranger également dans les dictionnaires ?

Bref. Je vous laisse, non sans avoir vérifié, au moment où j’écris ces lignes, que la caméra de mon ordinateur est bien débranchée ; sait-on jamais que je me sois gratté le nez en rédigeant ce billet, et qu’un hacker ait capté les images pour les faire circuler sur le Web…

Add a comment

required but not shared or displayed