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[La semaine infernale, Sergio Honorez] Les parrains

The 2008-06-15 at 20:07 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Sans nul doute, la Semaine Infernale de ce jour sera interrompue par une page de pub. Et avec un peu de chance, vous entendrez pendant cette page de pub un message vantant les mérites d’un théâtre, d’une exposition, ou de toute autre manifestation culturelle. Et, en fin de message, vous aurez la joie d’entendre cette phrase prononcée à toute vitesse: «Avec le soutien de la Première, de la Deux, des journaux Vers l’Avenir, de l’Avenir du Brabant Wallon, des cidres Stassen, de Dexia Assurances, des meubles Mailleux-Golenvaux, du Forem, de la Ville de Blegny-Trembleur et de RTC-Canal Emploi». Une petite phrase de dix secondes enregistrée à tout berzingue, sans reprendre un poil de souffle, rendant son contenu parfaitement incompréhensible.

Dix secondes, dans un message publicitaire de trente secondes, c’est beaucoup. Un tiers du message. Deux tiers consacrés à l’événement culturel, un tiers pour les sponsors. Normal: ce sont les sponsors qui paient le message publicitaire. Pas beaucoup, si on songe qu’ils ont dû s’y mettre à dix. Là où Devos & Lemmens n’ont qu’à crier «A table!» pour qu’on les reconnaisse, il faut s’y mettre à dix pour soutenir la culture. Et chacun de ces dix de faire valoir ses droits: «Ah oui, mais si je donne des sous, je tiens à être cité sur chaque message publicitaire». Au final, cette logorrhée expédiée à une vitesse telle que le Supercalifra-gilisticexpialidocious de Mary Poppins finit par ressembler à une comptine de Maurice Carême ânonnée par un dépressif sous Prozac.

Deux constatations s’imposent: la culture a besoin de sponsors. De beaucoup de sponsors et de toutes sortes: des radios, des télés, des meubles, des institutions communautaires, tout fait farine au moulin. La culture, c’est parfois élitiste, mais jamais en ce qui concerne les sponsors. Plus il y en a, mieux c’est. Le système en devient pervers: l’événement culturel a besoin d’être labellisé. Si ING y associe son nom, c’est que l’événement en vaut la peine. Alors qu’au départ, c’est l’événement culturel qui apporte du crédit à son sponsor. Comme si une banque pouvait prétendre au même intérêt que le plus inutile, mais si poétique objet de Panamarenko.

Deuxième constatation, c’est qu’en radio, c’est toujours la Première qui sponsorise la culture. Normal, puisque vous écoutez la Première, et que la Semaine infernale et le Jeu des dictionnaires sont deux événements ô combien culturels. Tandis qu’en télé, c’est la Deux qui sponsorise la culture. Que fait la Une? Elle sponsorise d’autres choses: des grands prix de moto-cross, le Salon des arts ménagers, mais pas la culture.

D’ailleurs, on ne dit pas «sponsoring», on dit parrainage. Oui, comme dans le film de Coppola, comme dans les Soprano, comme à Seraing ou à Charleroi. Le mot est on ne peut mieux choisi. Le Parrain, c’est celui à qui on doit remettre un peu de ce que l’on a gagné. Et comme la culture n’a pas d’argent, elle donne un peu de son message publicitaire. Aux parrains, au pluriel. Et bientôt, on entendra: «Allez voir la rétrospective Merce Cunnigham. La danse contemporaine, c’est super!» Puis, à du 3000 à l’heure: «Avec le concours de la Première, de la Deux, d’ING, d’Axa Assurances, avec le parrainage des spéculoos Pemmers, des scies sauteuses Husvarneucq, des meubles Mailleux-Golenvaux, des crottes de Recogne, des pipes d’Ardenne, des préservatifs Daneels, de la Poste, du Forem, de l’Onem, de l’Orbem, des rescapés de la Carolorégienne, du PS, du MR, du CDH, des Cristalleries du Val Saint-Lambert, de l’Université de Waremme, de la Fabrique nationale d’armes de Herstal, des entreprises New Lachaussée, de Télé-Bruxelles, de RTC Canal-Emploi, que nous remercions bien fort». Ouffff! Pile trente secondes!

Si ces parrains se bousculent au portillon, c’est que l’événement culturel a des chances d’être un succès, et que tous ces parrains en mal de capital sympathie auprès du public ne veulent pas rester sur le carreau, et manquer de se fabriquer une bonne conscience culturelle. Prenons par exemple le «Jeu des dictionnaires», ou la «Semaine infernale», émissions-phares de la RTBF, et que nous envient bien des radios périphériques. Hé bien, la durée de ces émissions a diminué de plus de dix minutes en 18 ans d’existence. La faute en incombe aux annonceurs publicitaires. Ils ont flairé le bon créneau, et se disent que grâce à ces programmes, ils vont toucher un maximum de public. Un jour, vous entendrez Jacques Mercier annoncer le Jeu des dictionnaires, et le temps d’une seule fausse définition entrecoupée de messages publicitaires, l’émission sera terminée.

Notez que nous, ça nous arrange bien: on en a de moins en moins à faire.

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