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[La Semaine Infernale, Juan d'Oultremont] De l'art, enfin !

The 2008-06-14 at 17:42 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Moi je dis : la plus grande atteinte contre les droits de l’homme, ce n’est pas l’invasion du Tibet, mais cette espèce de bricolage pompeux et inepte avec lequel la Belgique va se ridiculiser une fois de plus.

L’heure de ma vengeance a enfin sonné. Pour la première fois en vingt ans, cette émission accueille enfin un homme de l’art. Qui plus est (et malgré l’exposition dont il vient nous parler), un homme de l’art d’aujourd’hui. Parmi les invités qui se sont succédés à ce micro, Virginie nous a imposé la présence de 498 chanteurs de variété de la Communauté Wallonie-Bruxelles, Fred a insisté pour faire venir 173 dessinateurs de bande dessinée de l’école de Marcinelle, sans compter les 18 restaurateurs ardennais spécialisés dans les menus de chasse dont Raoul a exigé l’invitation…

Depuis 13 ans que je participe à cette émission, on m’a imposé la présence de collectionneuse de moules à chocolat, de proctologues, de handicapés, de directeur de théâtre avec des grosses voix, de pianistes allemands autistes et tout cela en me disant “sois patient, ton heure viendra, un jour, c’est promis, on parlera d’art dans cette émission !”. Et voilà que grâce à Laurent Busine, cette heure est enfin arrivée. Je vous jure qu’ils vont en baver. Je vais monopoliser le crachoir ! Toute la semaine, Busine et moi, on va échanger le souvenir d’expositions qui nous ont scotchés et qu’ils n’ont bien sûr pas été voir : “Les Machines célibataires” montée par Harald Szeemann. “Les magiciens de la terre” ou la récente rétrospective McCarthy au Smak… La vache ! J’ai toujours essayé d’être bon camarade, mais là, Ils vont en pleurer des larmes de sang !

On va faire référence à des lieux dont ils ne soupçonnent même pas l’existence : le PBS22, le Wiels, le Mukha, la fondation Beyeler, le Palais de Tokyo, Schaulager… Ils vont nous prendre pour des martiens. Sans la moindre pitié, on va leur asséner le nom des artistes belges dont on adore le travail et dont ils ne connaissent même pas la prononciation exacte : Marcel Berlanger, Ann Veronica Janssens, Honoré d’O, Emilio Loppez-Menchero, Michel François, Simona Denicolai et Yvo Provoost… Parce que c’est vrai, au fond, c’est marrant un pays où le premier collectionneur de timbres Valois venu connaît le nom d’au moins huit joueurs de foot et autant d’artisans chocolatiers, et pas celui d’un seul artiste vivant. Je vais donc pouvoir sortir un instant de mon apnée. Reprendre la bouffée d’oxygène qui me permettra de replonger pour treize années de plus dans le monde fascinant des miss Belgique et des joueurs de boogie-woogie.

Durant l’entracte, la queue entre les jambes, ils viendront vers nous en demandant si on peut quand même un peu parler aussi de Lou Deprijck et de Plastic Bertrand… Et si l’un d’entre eux, pour faire son intéressant, évoque la performance de cet artiste nicaraguayen qui fait mourir de faim un malheureux clébard, on lui casse ses lunettes. Parce que c’est énervant de n’entendre parler certains d’art contemporain qu’à l’occasion de faits divers aussi crétins. Que ce soit clair pour toutes et tous, faire crever un chien dans une galerie, ce n’est pas plus de l’art que les horreurs qu’Olivier Strebelle tente de fourguer, au frais du contribuable, à ses malheureux chinois. Moi je dis : la plus grande atteinte contre les droits de l’homme, ce n’est pas l’invasion du Tibet, mais cette espèce de bricolage pompeux et inepte avec lequel la Belgique va se ridiculiser une fois de plus. Encore que c’est comme pour le démantèlement des bateaux plein d’amiante : chaque sculpture de Strebelle qu’on réussit à placer en Chine, c’est une de moins qui viendra polluer nos espaces urbains. Et oui, je le reconnais, l’art est, avec le sexe, la seule chose qui m’intéresse. C’est mon assuétude à moi. L’échelle de (Gerhard) Richter avec laquelle j’évalue les convulsions du monde. C’est ma dope, mon yoga. La seule façon que j’ai trouvée d’être parfois mort mais jamais fatigué ! Laurent Busine, mon sauveur, merci d’être là ! Merci de leur expliquer à ces brutes épaisses que chez nous, l’art ne se limite pas aux sculptures de Delphine Boël. Expliquez-leur que, même à Charleroi, un commissaire d’exposition, ça n’a rien à voir avec la guerre des polices. Que la proximité d’une photo de Cindy Sherman, d’une performance de Francis Alys ou d’une installation de Mike Kelley, c’est une expérience qui n’a pas d’équivalent. Que l’art, ça rend curieux, mobile, vif et surtout moins con. Euh, sur ce dernier point, je ne suis pas sur d’avoir été très convaincant… Mais là, maintenant que c’est sorti, je me sens déjà mieux !

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