1. Home Page
  2. La Semaine Infernale

[La semaine infernale, Gilles Dal] Coupé du monde

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Jamais je n’aurais pensé que ça pourrait m’arriver un jour. Un terrible couperet s’est abattu sur mes épaules la semaine dernière: ma connexion Internet est tombée en panne… et je me suis retrouvé, six jours durant, off-line.

Enfin, je dis «tombée en panne»… tout le monde sait bien qu’Internet ne peut pas tomber en panne! Non, c’est ma ligne personnelle qui, la traîtresse, un beau matin, n’a plus fonctionné. Et d’un seul coup, je me suis retrouvé sans rien: sans accès à Internet, sans accès à mes e-mails… nu dans la jungle technologique!

Peut-on infliger pareille torture à un Occidental en ce début de troisième millénaire? Sans Internet: impossible de lire les journaux en ligne; j’ai été obligé de les acheter. Impossible de taper mon propre nom dans «Google». Impossible de racheter une mini-balance électrique sur Ebay à trois heures du matin. Plus moyen d’aller sur le blog de Raoul et de vérifier si personne n’y a fait de commentaire en dessous de ma photo. Plus possible de réécouter les vieilles émissions du «Jeu des Dictionnaires» dans la rubrique «Réécouter» du site de La Première… Coupé du monde, je vous dis!

Coupé du monde, car inatteignable. Vous vous rendez compte: on ne pouvait plus me joindre que par GSM, par téléphone fixe, par fax et par SMS! Terrible solitude!

Je m’apprêtais, pour rester en contact avec mes semblables, à prendre des cours de colombophilie (après tout, correspondre par pigeons interposés, ç’aurait eu un certain cachet) lorsqu’il me vint l’idée saugrenue de tenter de résoudre le problème, et de téléphoner à un opérateur pour signaler le dérangement.

Cette initiative dissipa mes derniers doutes quant à la tournure définitivement barbare qu’est en train de prendre le monde de la téléphonie et de la connexion Internet. Jamais je n’avais autant réalisé que la déshumanisation n’était pas un concept abstrait: vous appelez trente fois, vous avez trente personnes différentes au bout du fil, qui vous passent toutes «quelqu’un qui va pouvoir vous aider»... Tous vos interlocuteurs vous répètent qu’ils vont «voir ce qu’ils peuvent faire», qu’ils «comprennent», qu’ils vont «faire tout ce qui est en leur pouvoir», que «ça ne dépend pas d’eux»... et le pire, c’est que c’est vrai! Ça ne dépend pas d’eux! Il est donc inutile de s’énerver!Alors je me suis retrouvé prisonnier. Prisonnier dans mon propre salon! Alors que je pouvais sortir quand je le souhaitais, alors que je pouvais téléphoner à qui je voulais, alors que j’étais tout à fait joignable… prisonnier car seul devant l’immense porte archi-blindée de la grande toile qui, pour la première fois depuis que j’avais fait sa connaissance, me fermait ses bras. Des milliards de mes semblables discutaient sur le Web, consultaient des centaines de milliards de pages… sans moi. J’ai soudain craint qu’ils ne se mettent tous à dire du mal de moi, vu que je n’étais pas là.

Puis, après avoir frôlé la folie et traversé ce long désert technologique, le problème finit enfin par se résoudre. Vite, vite: j’allais annoncer au monde entier que j’étais de retour sur le réseau des réseaux! Tout pouvait reprendre comme avant, enfin!

Allez hop, consultation de mes e-mails… qui m’a écrit? Le trésorier général de la Loterie nationale, pour m’annoncer qu’il y a eu une erreur, la seule fois de ma vie que j’ai joué au Lotto, il y a quatre ans, et que j’avais gagné à l’époque la super cagnotte, à laquelle j’ai donc droit aujourd’hui, en plus des intérêts de retard? Spielberg, pour me dire qu’il a vu mes séquences à «la Télé infernale», qu’il est impressionné par leur qualité, et qu’il aimerait les adapter au cinéma?

On va voir ça… alors… je clique sur «boîte de réception»… bon… manifestement, il n’y avait rien de très urgent… 247 blagues, 863 spams, quelques messages… et sur Internet, quoi de neuf? Des nouvelles que j’ai déjà entendues à la radio et vues à la télé, mes sites favoris qui n’ont pas bougé d’un iota… enfin, si, quand même: Raoul a rajouté quelques photos sur son blog… et, incroyable, personne ne semble avoir parlé de moi en mon absence.

Je ne sais pas comment je dois le prendre.

Add a comment

required but not shared or displayed