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[La semaine infernale, Frédéric Jannin] Coup de vieux

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Pffff… J’ai pris un coup de vieux. Vous avez déjà eu un coup de vieux, vous? Moi, je viens d’en prendre un terrible. Il y a quelques jours, on a fêté mon anniversaire. C’est une affaire que j’étouffe, en général. Je fais partie de ceux qui préfèrent célébrer les autres et chanter à tue-tête «Happy Birthday» dans plusieurs langues, caché dans une foule de supporters, plutôt que de me trouver au milieu des projecteurs et de faire les bonnes expressions faciales de bonheur, d’émotion et de joie d’être célébré par l’entourage. Si en plus, ça devait être une surprise, alors j’aime autant être enterré tout de suite. Enfin, ça, ça va, je crois que le message est bien passé.

Non, ce qui m’amène à vous parler de ce cap, de cette date incontournable, mais qui finalement concerne tout le monde qui traverse plusieurs fois trois cent soixante-cinq jours -et c’est le cas de tous les gens que je côtoie depuis longtemps- c’est autre chose.

La veille de cette date, de grand matin, j’ai glissé dans ma douche! Enfin, j’ai glissé en entrant dans ma douche, et j’ai réussi à merveilleusement customiser mon tibia gauche pour en faire une sorte de bâton gothique digne de figurer dans le prochain épisode du «Seigneur des Anneaux». Vous savez, ça dure une seconde et demie, ce genre de truc. On glisse, on tombe, et on se racle des parties du corps sur de la pierre bleue. Juste après, on passe toute la journée à revoir le film au ralenti, à se demander comment on a fait son compte et surtout pourquoi on pose de la pierre bleue devant les douches, et non pas un bon caoutchouc rembourré. C’est comme pour les bagnoles: pourquoi on ne les ramollit pas aux entournures, pour éviter les crashs dévastateurs? Pourquoi on ne fait pas des pare-brise mous? Sans doute ça ne ferait pas le bonheur des carrossiers ou de Carglass. Enfin, ici, je montais dans ma douche, pas dans une Formule 1. Et quand j’ai tenté de me redresser, en voyant le sang couler dans le fond de la cuvette, mes oreilles internes faisant le bruitage des violons d’Hitchcock dans «Psychose», c’est là que j’ai pris un coup de vieux.

Cet avatar se serait produit à un autre moment que la veille de mon anniversaire, je suppose que je n’en aurais pas fait un fromage, ou un billet pour la «Semaine infernale», mais là c’était comme un signe du ciel. Un avertissement de Dieu: «Fred, mon ami, fini de rigoler! Tu passes un cap. Tu arrives à un âge où il faut être prudent!»

J’ai passé la nuit suivante à cauchemarder. J’imaginais mes amis se cotiser pour m’offrir un de ces ignobles petits tapis à ventouses que la prudence incite à placer au fond des baignoires des vieilles personnes. Pire encore, je me voyais recevoir des poignées à fixer à l’entrée de ma douche, pour m’y accrocher en cas de risque de glissade. Ou des sandales en caoutchouc antidérapant. Ou vraiment le top du top, une alarme à mettre autour du cou, pas un airbag, mais presque, une sorte de collier relié directement à un service de secours.

Je voyais mon bête tibia gonfler de plus en plus, prendre des couleurs de plus en plus étonnantes, et des formes de plus en plus spectaculaires. Le lendemain matin, il ressemblait carrément au visage de Justine Henin à Beloeil. Il n’y a pas vraiment de quoi se plaindre, franchement. En plus, des tibias, j’en ai deux. Mais justement, ça permet la comparaison. C’est peut-être pour ça qu’on a été doté de pas mal de trucs en double. Chais pas. En tout cas, à choisir, j’aime autant avoir amoché un membre que j’ai en double, si vous voyez ce que je veux dire. Avoir une Justine Henin de Beloeil entre les jambes, ça doit faire vachement mal. Allez, il y a plus malheureux que nous. Et puis cette «bloody» différence d’âge, elle commence à me courir sur le haricot. Merde à la fin, on peut glisser dans sa douche à tout âge, c’est marqué dans tous les dictionnaires de gérontophilie. Je me tue à me dire que j’ai côtoyé, du haut de mon grand âge, des jeunes gens trrrrès vieux de corps et d’esprit, et des plus vieux franchement juvéniles, hein, Jacques? Alors, ce n’est pas un bête anniversaire précédé d’une cascade dans une salle de bains qui vont me démolir le moral. De toute façon, une seconde est une seconde. Ça, c’est pour tout le monde, non. Le seul commun dénominateur. Alors, vivons, que diable!

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