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[La semaine infernale, Raoul Reyers] Pauv'goss'

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Pfff, je me dis quand même que je suis tellement normal comme type, à la limite du banal voire de l’inintéressant. Bon je vous dépeins le tableau et vous allez voir que la plupart d’entre vous allez vous foutre de moi.

D’abord je travaille, ce qui n’est plus vraiment le cas de tout le monde. Je ne prendrai que l’exemple d’un enseignant d’une école de la Région bruxelloise qui m’expliquait que dans une des classes dont il avait la charge, aucun des parents, vous m’entendez bien, aucun des parents ne travaillait. Que se passe-t-il alors dans la tête de tous ces gosses quand ils discutent entre eux à la récré?

- Hè qu’est-ce qu’il fait ton père?

- Chômeur et le tiens?

- Ah, le mien aussi!

- Celui de Mouloud, lui, il est réfugié politique!

- Ben ça c’est un peu comme celui d’Africa qui lui n’est pas encore réfugié politique mais demandeur d’asile.

- Et tu crois qu’il y a encore d’autres métiers exercés par les parents des autres élèves?

- Oui, y a le père de Kevin qui est sur la mutuelle parce qu’il a eu un accident de travail!

- Et il y a le père de Martine, tu sais le monsieur qui est un peu plus vieux, et bien lui il est prépensionné!

- Ah, c’est quoi ça!

- Ben on a fermé son entreprise alors on lui a dit qu’il pouvait rester définitivement à la maison.

- Ouaw, dis, il y en a des métiers!

- Il y a aussi le père de Johnny qui est en prison!

- Ah bon, c’est aussi un métier!

Donc moi je travaille, j’ai encore cette chance. Et je ne suis pas divorcé ce qui ferait passer mon gamin pour une sorte d’extraterrestre.

- Je peux passer chez toi mercredi après midi?

- Non, mercredi je suis chez mon père dans le Brabant wallon!

- Bon ben je te téléphonerai alors?

- D’ac’, mais alors je te donne le numéro de la nouvelle copine de mon père parce que je vais passer l’après-midi là-bas quand mon père travaille.

- Ou alors toi tu m’appelles, je serai chez moi!

- Quoi, t’es toujours chez toi, toi! Ça ne doit pas être gai d’être tout le temps au même endroit. Moi le lundi je suis chez ma mère, le mardi on va loger chez son nouvel ami, le mercredi chez la nouvelle copine de mon père, le jeudi chez mon père, le vendredi on retourne chez sa copine et le week-end je vais chez les grands-parents parce que mes parents ont bien besoin du week-end pour s’occuper de leurs nouveaux compagnons! J’ai 57 caleçons répartis dans tous les foyers, j’ai trois game boy et quatre playstation. Y a juste chez les grands-parents que je m’emmerde un peu. Là, y a que la télé.

Mon pauvre fils lui est constamment confiné à la maison. Pauvre gosse qui mange tous les jours de légumes frais, de la viande de chez le boucher ou du poisson de la poissonnerie. Il y a même des fruits et des produits laitiers.

- Allez à table, j’ai fait de la soupe!

- Pfff, encore de la soupe et puis on a quoi?

- Un filet de saumon avec des brocolis et des pommes de terre persillées.

- Pfff, je n’aime pas le persil! Au moins chez Nicolas il y a des fish sticks ou des crêpes surgelées. Moi aussi je voudrais manger des pizzas et des lasagnes tous les jours. Nicolas, il y a une semaine où il a réussi à manger des spaghettis bolognaise tous les jours. Le matin, dans tous les endroits où il allait le soir, il disait qu’il avait envie de spaghettis. Et comme il va chaque fois ailleurs, il en a eu tous les soirs de la semaine. Sauf le samedi où il est allé en vitesse au Quick, le veinard! Pfff! Et lui il a mangé trois fois devant la télé cette semaine. Nous ici, on mange toujours à table, on ne peut pas avoir des Danettes tous les jours. J’ai du pain frais et des fruits dans ma boite à tartines. J’en ai marre moi de cette maison où tout est normal!

C’est vrai la normalité, c’est vachement dangereux pour notre progéniture. On finirait par en faire des frustrés! Faut vraiment que je me ressaisisse!

- Allez mon vieux pour les vacances, tu vas pouvoir faire comme Nicolas, un mois à la plaine de jeux, 15 jours à la colonie de vacances et pour le reste on verra!

- Hey p’pa, tu déconnes. Moi de Nicolas, je ne veux que les avantages et pas les inconvénients.

- Ben, file dans ta chambre alors mon pauvre ami qui n’en a qu’une.

Moi c’est décidé, je suis ringard et je le reste. J’ai un peu honte mais le ridicule ne tue pas.

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