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[La semaine infernale, Gilles Dal] Courrier indésirable

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Je ne sais pas vous, mais moi, j’aime trouver du courrier dans ma boîte aux lettres le matin.

Que de plus déprimant, en effet, que d’ouvrir sa boîte et de n’y rien trouver, sinon la carte de visite d’un autoproclamé professeur au nom de famille rigolo vous promettant de retrouver une paire de chaussettes perdue depuis des années, de désenvoûter votre emplacement de parking ou de prédire le passé? Ce type de carte de visite, en général imprimée à 265000 exemplaires chez un photocopieur véreux, me plonge toujours dans des abîmes de stupeur: chaque fois que j’en vois, je ne peux m’empêcher de penser à l’état d’esprit du professeur en question au moment où il a conçu sa propre carte de visite, et où il a rédigé les quelques lignes présentant la nature de ses capacités paranormales…

Tout d’abord, il a dû s’inventer un faux nom avec pleins de voyelles dedans, puis il a dû décider s’il allait mettre une ou deux étoiles de part et d’autre de son nom fraîchement inventé; ensuite, il lui a fallu choisir entre les caractères type Times New Roman 11 ou Courrier 10 dans son traitement de texte, et enfin s’inventer une série de dons surnaturels…

Pour cela, en général, il a recopié mot pour mot les dons surnaturels de ses concurrents. C’est en tout cas à cette conclusion que j’en suis arrivé après avoir constaté que les mages prestant en Belgique étaient absolument tous dotés des mêmes pouvoirs surnaturels… toujours cités dans le même ordre, en plus! Il devrait, en toute logique, y avoir des spécialistes du désenvoûtement, d’autres de l’interprétation des entrailles de fourmis, d’autres encore de la prédiction sur mouchoirs… mais non: ils sont tous généralistes! Comme le disent si bien les commentateurs sportifs, c’est «marqué pas de chance » pour eux: pas facile, en effet, de se démarquer de ses concurrents si chacun promet la même chose.

Que dire également des concepteurs des petits prospectus promettant des coupes -10pc avec crème de shampoing spéciale prestée des blanches mains d’une lauréate de quelque récent concours de coiffure? Quand on voit les portraits qui ornent ces prospectus, et quand on se souvient que ces portraits sont censés donner envie de ressembler à cela, on ne peut s’empêcher de sérieusement douter de la bonne foi de ces concepteurs, voire de crier au sabotage! Car qui a envie, en 2006, d’être coiffé comme Daniel Guichard du temps où il chantait «Le gitan», ou comme Margaret Thatcher à la belle époque de la guerre des Malouines?

Disant cela, je pense également aux mannequins photographiés sur ces prospectus, aux êtres humains qui se cachent derrière ces tignasses vernies: de quel droit ces malheureux peuvent-ils ainsi être honteusement humiliés sur la place publique, sans que personne ne s’en offusque? Englués dans des décilitres de gel qui ont dû attaquer jusqu’à leur boîte crânienne, photographiés sous un angle improbable, entre la face et le profil, arborant un sourire donnant mal à la tête par leur intense blanc maculé, ne sont-ils pas en droit de se révolter, de briser leurs chaînes, de réclamer un peu de dignité? Obligés, en plus, de cautionner les slogans les plus abscons, comme: «Chez Dany Zwaelens, vous ne serez pas reçu comme les autres clients. Nous tenons compte de vos desiderata, et nous engageons personnellement à vous coiffer de la meilleure manière qui soit.» Ouaouh! Génial! Mieux encore que les mages qui désenvoûtent les parkings: les coiffeurs qui traitent tous les clients… pas comme les autres clients! Il aura fallu attendre ce début de 3e millénaire pour parvenir à un tel degré de satisfaction de la clientèle.

Rien de cela ne vaut toutefois les enveloppes personnalisées… Quel étrange sentiment que celui de découvrir dans sa boîte aux lettres une enveloppe sur laquelle est écrit en rouge sang: «Cher monsieur Dal, ouvrez sans plus attendre cette enveloppe» , cette aimable injonction étant entourée de mini-jackpots, ainsi que d’élégants symboles du dollar américain imprimés en une splendide couleur «casino», à cheval entre le doré et l’orange criard. On ouvre cette enveloppe, et on tombe en général sur un chèque mauve fluorescent, sur lequel est imprimé un chiffre avec beaucoup de zéros, entouré de formules alléchantes comme «à ne pas rater», «ça tombe sur vous, profitez-en», «sans plus attendre», «tout de suite», «ne laissez pas passer votre chance» , chacune de ces formules étant de surcroît entourée du même sigle que celui que les grands magasins utilisent pour les «méga-promos» et les «prix flash» à tout achat de 15kg de pâte à tartiner fluorescente.

A ces envois, il faut également ajouter les lettres qui ne me sont pas adressées. Je profite d’ailleurs de l’occasion pour lancer ici un appel officiel: depuis que je suis installé dans mon immeuble, un certain Mario Tadruz reçoit chaque jour en moyenne 5 à 6 lettres. Or, après une enquête assez poussée, j’en suis arrivé à la conclusion que ledit Mario Tadruz n’avait absolument jamais habité dans mon immeuble. Ce dont on peut déduire en toute logique qu’il y a aujourd’hui, quelque part dans le monde, un Mario Tadruz qui croit que personne ne l’aime, et qui est probablement parti vivre seul, dégoûté des hommes, sur quelque île reculée du Pacifique. L’appel est donc lancé: peut-être les merveilles de la communication mondialisée permettront-elles d’apporter quelque réconfort à un homme probablement solitaire et aigri par l’ingratitude de ses contemporains.

Au fond, quand je vous raconte ce que je trouve dans ma boîte aux lettres, je me demande si finalement, la trouver complètement vide n’est pas encore ce qu’il y a de mieux…

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