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[La semaine infernale, Sergio Honorez] Tout et son contraire

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Moi, je dis qu’on vit une époque formidable. Une époque où il nous est permis d’obtenir tout et son contraire. Le beurre et l’argent du beurre. Pour le sourire édenté de la crémière, celui-là, je vous le laisse.

Tout et son contraire: les adeptes de la révolution prolétarienne, des lendemains qui chantent et de l’Internationale socialiste qui deviennent actionnaires de sociétés bancaires cotées en Bourse. Tout et son contraire: des libéraux aux accents de mondialisation et de délocalisation qui prônent une Europe sociale et solidaire.

Tout et son contraire: l’Europe des régions. Une Europe forte, unie, qui tient compte des moindres particularismes bretons, wallons, hennuyers et asturiens.

Tout et son contraire: une radio-télévision de service public, forte et indépendante qui chaque matin se précipite sur les résultats de l’audimat pour s’assurer des rentrées publicitaires que ses scores lui permettront d’obtenir.

Tout et son contraire: de gros médecins bedonnants et bien portants, qui après avoir débouché une bonne bouteille de Bordeaux en plein séminaire, dénoncent la malbouffe et donnent force conseils diététiques pour que nos enfants ne meurent pas obèses.

Chaque mois, notre excellent ami Jean-Jacques Jespers revient au «Jeu des Dictionnaires» la mine défaite: il s’est encore une fois aperçu que ses jeunes étudiants en journalisme n’ont jamais ouvert un quotidien de leur vie, ne regardent pas les infos et ne savent pas citer le nom du Premier ministre. Et ce sont eux qui, plus tard, dûment diplômés, écriront dans les quotidiens, dépouilleront les dépêches d’agence et intervieweront les Premiers ministres. Tout et son contraire, je vous dis.

Le pays champion du «monde libre», porteur des valeurs du monde civilisé, gendarme du monde, qui clame qu’il est de son devoir d’apporter civilisation et droits de l’homme par la force s’il le faut, qui s’empresse de remettre à l’ordre du jour la détention arbitraire, fait fi des Conventions de Genève ou de l’ordonnance d’habeas corpus. Tout et son contraire. (A ce propos, je voudrais réagir à une lettre d’auditeur de Tilff qui m’accuse de prendre «la pente de l’anti-américanisme de bon ton dans notre maison». A cela, je lui réponds que je ne prends aucunement la pente de l’anti-américanisme, puisqu’au contraire je me sens proche et solidaire des 150 millions d’Américains qui n’ont pas voté pour Bush.)

Tout et son contraire.

Lors d’une confrontation télévisée, lorsqu’un des intervenants se lève pour pointer du doigt son détracteur: «Mais mon cher ami, vous affirmez tout et son contraire!», c’est bien pour abattre les arguments de l’adversaire. Mais qu’en serait-il si nous n’affirmions plus que du «tout» ? Ou si nous étions farouchement défenseurs de «son contraire» ? Se réclamer du concept de «tout et son contraire», n’est-ce pas une manière d’affirmer le principe de consensus comme philosophie de la vie? Quoiqu’on en dise, n’est-ce pas le fondement-même de notre beau pays: une monarchie dans laquelle le roi ne gouverne pas. Alors qu’en Wallonie, c’est le président du parti qui gouverne comme un monarque. Dire qu’il y en a qui aimeraient remettre en question cette belle mise en pratique du taoïsme: la Belgique, c’est un peu le Yin et le Yang d’Europe occidentale.

Dire «tout et son contraire», c’est presque poétique, rassembler en une seule phrase deux propositions apparemment opposées. C’est un art de vivre, une manière d’envisager tout, mais aussi son contraire. C’est affirmer en plein repas: «J’aime la viande, mais aussi le poisson».

Tout et son contraire. Comme si la vie était un chemin de marelle: un coup, on met le pied au paradis, un coup on met le pied dans une crotte de chien. Un point à l’endroit, un point à l’envers…

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