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[La semaine infernale, Gilles Dal] Le calme belge

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Dites, vous ne trouvez pas que la Belgique est un peu trop calme, ces derniers temps? A lire les journaux, on a l’impression qu’on s’y éclate à peu près autant qu’à un congrès de la FGTB consacré à l’avenir des pensions dans le secteur public tertiaire, non?

Ce n’est pas comme en Italie où, il y a quelques jours encore, ce bon vieux Berlusconi, figé dans son sourire Pepsodent fraîcheur menthe extrême, affublé d’un autobronzant orangé que n’aurait pas renié Michou un soir de première et teint de son pot quotidien de gomina noir corbeau option «Guy Cudell», traitait tous les électeurs de gauche de couillons. Tous des «coglioni»… ça, au moins, ça a mis de l’ambiance! Ce n’est pas un Verhofstadt qui dirait: «alle aanhangers van links zijn sukkelaars», entraînant par là les électeurs de gauche flamands, indignés, à arborer des T-shirts «ik ben een sukkelaar», et les électeurs de gauche francophones des T-shirts «je suis un sukkeleer» !

Certainement pas! Je vous le dis, la Belgique manque de punch… on s’ennuie. Et que dire de la France! Ecoutons la voix forte de Dominique de Villepin… Etape n° 1: «nous ne céderons jamais, au grand jamais, à la pression de la rue, je m’y engage avec autant de force que le patron des meubles Mailleux».

Etape n° 2: «nous ne céderons pas à la pression de la rue, c’est exclu, je suis formel; vous pouvez m’accorder la même confiance qu’à Maurice Noël quand il se proposait de régler toutes vos dettes d’un coup de chéquier, comme ça, par pure philanthropie».

Etape n° 3: «il y a très peu de chances que nous cédions à la pression de la rue, c’est plus ou moins exclu, c’est moi qui vous le dis…», avec la force de conviction d’un tonton Tapis quand il vous expliquait que moins chers que ses produits, c’était illégal.

Etape n°4: «nous céderons peut-être un petit peu à la pression de la rue, mais vraiment un tout petit peu, d’accord? Croyez-moi comme vous croyez les vérandas quatre saisons quand elles vous expliquent qu’elles comptent vingt ans de passion».

Etape n° 5: «bon, vous êtes lourds, les mecs: OK, ça va, je vous la retire, votre loi… c’est bon, vous êtes contents? Vous allez arrêter de m’ennuyer, après ça?»

Formidable. Quelle cohérence, quel courage, quelle résistance à la bourrasque! Ah, cruelle fatalité. Qu’il doit être dur, quand on rêve d’un destin à la Général de Gaulle, de finir encore plus bas dans les sondages que Jean-Pierre Raffarin à la pire de ses périodes… un peu comme si Paul Bocuse, le célèbre chef coq, se retrouvait à préparer des sandwiches crabe mayonnaise au réfectoire de la prison de St-Gilles. Comme si André Malraux avait été engagé pour écrire les toasts de Michel Daerden en fin de banquet. Comme si Spielberg avait tourné la nouvelle publicité pour les vérandas Willems.Je vous le dis: ça bouge partout, sauf en Belgique… il n’y a que chez nous qu’il n’y a pas d’ambiance. Même au sein de l’Eglise, ça pulse. Voilà en effet qu’on commence même à en apprendre de belles sur Jésus. Le Christ himself! Le magazine «High Times» nous explique que les guérisons miraculeuses qui lui sont attribuées dans la Bible correspondent à des effets désormais répertoriés du cannabis; un océanographe de l’Université de Miami nous apprend que si, comme le dit le Nouveau Testament, Jésus a marché sur l’eau du lac de Tibériade, peut-être était-ce parce que ce dernier était gelé… et puis, cerise sur le gâteau: un manuscrit de 25 pages en papyrus écrit en copte dialectal, révélé par la revue américaine «National Geographic», semble indiquer que, contrairement à la version des quatre Evangiles officiels, Judas n’était pas un traître: Jésus lui aurait en effet demandé de le trahir pour assurer la rédemption de l’humanité… que de scoops en quelques jours!

Et nous, dans tout ça? Ne serait-il pas temps de faire un petit effort, pour qu’on parle de nous? Je ne sais pas, moi… pourquoi ne pas dire, pour chauffer l’ambiance, que Léopold Ier était une femme? Que Léopold II, en fait, était blond décoloré, mais que ça ne se voit pas sur les images en noir et blanc? Qu’Albert Ier, contrairement à la légende, n’a jamais su monter à cheval, et que sur toutes les photos qui le montrent sur son fier destrier, on peut apercevoir, à côté des sabots de la bête, des petits tatamis discrètement posés, destinés à amortir les fréquentes chutes du souverain? Que parfois, même, il se laissait tomber exprès sur les tatamis pour amuser la galerie?Que Léopold III était vice-champion du Brabant de trampoline, mais qu’il ne voulait pas que ça se sache? Ou alors, je ne sais pas, moi, que le père Damien est toujours vivant, et qu’il vit sur une île cachée au large du Costa Rica en compagnie d’Elvis Presley, de Claude François et d’Alain Vander Biest?Qu’il n’y ait plus de tabous, qu’on se lâche! Que la Belgique bouge! De l’audace, que diable!

Heureusement, je ne prêche pas dans le désert… J’en veux pour preuve une publicité enfin enthousiasmante qui passe à la radio: «pour les chercheurs d’emploi à Bruxelles: le chèque Orbem, pour passer du rêve à la réalité». Enfin du rêve, enfin du mouvement. Nul doute que si Martin Luther King avait vécu en Belgique en 2006, il aurait clamé d’une voix forte: «I had a dream, the chèque Orbem!» Merveilleux lyrisme: à une époque où le rêve n’a pas toujours la place qu’il mérite, heureux sont les chercheurs d’emploi à Bruxelles… eux, au moins, ont la chance de pouvoir rêver.

Allez, tout n’est pas perdu.

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