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[La semaine infernale, Gilles Dal] Combien de pavés dans la mare?

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Vous avez entendu ça? Le catalogue Ikea -160 millions d’exemplaires- est aujourd’hui la publication la plus lue au monde après la Bible! C’est en tout cas ce que j’ai lu; vous pensez bien que je n’ai pas fait le décompte moi-même.

C’est à ce genre de statistique que l’on réalise l’ineptie de certaines comparaisons. Un catalogue Ikea, en effet, ça ne se lit pas vraiment: ça se feuillette, ça s’annote, ça se plie… Dirait-on d’une pêche au thon qu’elle se savoure, d’une fricadelle duo de sauces lapin-samouraï qu’elle se déguste? Je sais bien que de nos jours, on souhaite une «excellente dégustation» en servant un croque-monsieur, mais il faudrait veiller à cesser d’user de mots inappropriés, car c’est en cédant à ce fâcheux penchant que l’on en est venu à qualifier de «conférence de presse de Dominique de Villepin» un monologue prétentieux tenu par un illuminé devant un parterre de journalistes complaisants; de «tract du Front National» quelques feuillets racistes et orduriers remplis de dessins minables et de chiffres tronqués; de «presse de proximité» des répertoires insipides de faits divers, de «débat télévisé» une succession de monologues de vingt secondes imperméables les uns aux autres; et de «dernier monstre sacré» tout acteur de troisième zone qui vient de mourir.

De plus, l’intérêt de ce genre de décompte reste à prouver; à titre de comparaison, on pourrait également livrer cette statistique, tout aussi fascinante (elle n’est pas agréée scientifiquement mais, comme le disait si bien Bernard Tapie, «vous pouvez me faire confiance»): 129 684 315 549 de grains de sable ont été déplacés sur les plages belges durant les vacances de Pâques de 2006 par des enfants jouant avec leurs pelles, soit le nombre exact d’emplois de l’expression «pavé dans la mare» dans les journaux belges au cours du mois d’avril 2006.

Les statisticiens ont en effet noté que les déclarations fracassantes d’Yves Leterme sur le statut de Bruxelles le mois dernier avaient entraîné un nombre invraisemblable d’emplois de la formule -je cite- «le ministre-Président flamand a lancé un pavé dans la mare», laquelle formule a même battu le désormais challenger -je cite à nouveau- «il faut pointer les dysfonctionnements au plus haut niveau de l’Etat» qui, pourtant, «caracolait en tête» des «charts» depuis de nombreuses années.

Une petite question à ce sujet: si l’on considère le nombre de pavés lancés dans la mare, on peut raisonnablement se demander si tous ces pavés ont été jetés dans une seule et même mare, ou dans des mares différentes. Pour avoir une piste d’explication, je suis allé surfer sur le site www.les-mares.com, le rendez-vous des fans d’aquariophilie. J’y ai découvert que, contrairement à certaines régions d’Afrique où les mares ont tendance à disparaître (j’imagine que la raison en est qu’on lance beaucoup trop de pavés dedans), en Belgique, le nombre de mares reste assez stable. Ce qui signifie -déduction logique- qu’il doit exister une seule mare dans laquelle on lance tous les pavés. Si ce n’était le cas, en effet, il ne resterait plus beaucoup de mares, mais surtout des tas de pavés… toute une série de petites tours des pensions dans les campagnes belges, donc. Ce serait surprenant! Mais ce ne semble pas être le cas.

Vous allez me dire: pas de chance pour la seule et unique mare qui s’est pris tous les pavés… eh non, pas de chance! C’est un peu comme pour la fameuse table -dont on a déjà parlé- sur laquelle on pose toutes les propositions, en Belgique. Avec le nombre de «propositions sur la table» dont on entend parler, ce que la pauvre doit être usée!

Mais où sont-elles donc, cette mare et cette table? Dans quelque cabinet noir, où se trouvent également la légendaire sonnette d’alarme que tout le monde tire en même temps, ainsi que le verre d’eau dans lequel il y a toujours une tempête, à l’origine de la fameuse expression «tempête dans un verre d’eau»?

A propos de «tempête dans un verre d’eau», on notera que les propos d’Yves Leterme en furent un formidable. J’aimerais en effet, à mon tour, lancer un pavé dans la mare en relevant que le meurtre de Joe Van Holsbeek eut un effet étonnant. Pendant quelques jours (avant le drame de Joe), grands titres et dossiers spéciaux succédèrent aux propos de Leterme, la poésie se disputant comme d’habitude au lyrisme: «La Belgique va-t-elle crever?», «Leterme: les pieds dans le plat», etc., soit, exactement ce que souhaitait Leterme. Sa ficelle était grosse, pourtant: «Je fais une déclaration destinée à mettre le feu aux poudres, histoire de passer ensuite pour un modéré quand je présenterai mes véritables revendications». Imaginez sa vexation si son intervention n’avait suscité que de vagues entrefilets!

Cette stratégie grossière fonctionna donc… jusqu’au drame de Joe. Chacun sait en effet que la frénésie médiatique ne peut se braquer que sur un seul sujet principal à la fois… c’est d’ailleurs un de ses points communs avec le cerveau de Florent Pagny. Et de Leterme, on n’entendit plus parler.

Un problème en chasse un autre; ainsi vont les choses…

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