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[La semaine infernale, Frédéric Jannin] Huit ans de ma vie

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Huit ans de ma vie! Vous vous rendez compte? J’ai passé huit ans de ma vie ici dans ce collège (l’enregistrement s’est fait au Collège Saint-Pierre à Uccle)! En avançant en âge, ça nous fait une proportion de plus en plus minime, environ un sixième de ma vie (c’est ici que j’ai appris les maths) mais comme ces huit ans se placent au début de mon existence, j’imagine que ça m’a marqué davantage.

Mon petit cerveau, disque dur tout frais à peine formaté, était prêt à ingurgiter une somme d’informations qui allaient déterminer tout le reste. Ah, je me souviens! En première année, mon titulaire était Gepetto (le papa de Pinocchio) mais sans moustache. J’en étais sûr, c’était lui. Je me souviens qu’il était proche de la retraite (il était né en 1800 et des poussières…). Quand il était pris d’un petit besoin, pour ne pas abandonner ses élèves en plein cours, il faisait pipi dans un gobelet, puis jetait le contenu par la fenêtre dans les plantes qui longeaient la cour. Si on s’approchait de lui en pleine action, il nous faisait «pschpshcchht» comme pour chasser des chats ou des oiseaux. Ça paraît très loin, mais c’est surtout ça qu’on retient à six ans, quand on sort des jupes de sa mère. Un jour, il a peigné un de mes petits camarades avec un rateau, et un autre jour, il a puni un autre petit camarade en le forçant à rester assis dans la poubelle en osier. Je vois encore sa tête et ses jambes dépasser, on aurait dit une tortue sur le dos. C’est ce vieux prof qui nous avait expliqué que les parents de Bernadette Soubirou étaient tellement pauvres qu’ils devaient faire de la soupe avec de l’eau! Il nous disait aussi que si l’on se promenait en forêt et qu’un hibou nous crachait dessus, on risquait de rester petit. C’est peut-être à cause de lui que je suis devenu définitivement allergique à la forêt. Enfin, c’est ce même prof qui a voulu me rendre droitier comme on le faisait à l’époque. Je suis le seul qu’il n’a pas réussi à contrarier, un an avant sa retraite. Ça a sûrement forgé mon caractère de rebelle!Petit retour au pipi. Un autre souvenir très marquant était l’odeur des urinoirs. Une odeur très caractéristique qui allait bien avec le froid et le brouhaha de la cour de récré. Je n’ai jamais été fan de foot, mais les autres élèves jouaient souvent avec des balles de tennis qui tombaient régulièrement dans les urinoirs. Ils allaient les rechercher et les tapaient un peu au sol pour enlever l’urine, puis les relançaient d’un coup de tête. Le préfet de l’époque était surnommé «pis» (on n’en sort pas!) et le chic du chic, bien avant les tags, consistait à écrire «pis» à la craie sur les murs de la cour. La fois où c’était mon tour, je m’étais appliqué à l’écrire de dos, à l’envers. L’histoire ne dit pas si j’ai écrit «SIP» au lieu de «PIS» mais je me suis fait prendre par un pion qui avait vu mon petit manège et j’ai dû effacer tous les graffitis pendant toute une heure de cours. Chouette punition.Je vous parlerais bien aussi des curés en soutanes qui donnaient le cours de religion assis au premier rang sur les bancs et qui laissaient un bouquet d’odeurs à la fin de l’heure, mais vous allez penser que je n’ai gardé que des souvenirs olfactifs. Donc, je vous épargnerai tout ça, ainsi que le parfum de la soupe aux légumes du réfectoire.Ah, les souvenirs! Je pourrais continuer des heures, ne fût-ce que pour essayer de faire de la place dans ma mémoire, mais ça ne videra pas mon disque dur. Un peu plus tard, il y a eu mai 68, et une des préoccupations principales était de laisser pousser ses cheveux. J’ai trouvé un truc imparable: juste avant les vacances, j’ai fait croire au préfet que je devais tourner dans un film et il fallait que ce soit raccord, donc il m’était impossible de me faire couper les cheveux. Ce vilain mensonge, je l’ai gardé toutes ces années, et vous n’imaginez pas comme ça me fait du bien de pouvoir l’avouer ici devant vous au collège. Allez, maintenant, je vais réciter trois «Notre Père» et deux «Je vous salue Marie», comme ça je serai tranquille. Merci bonsoir.

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