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[La semaine infernale, Frédéric Jannin] Histoire de débits

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

Parfois, je me pose des questions. Parfois, je me demande comment on peut se risquer à qualifier notre existence autrement que par l’absurdité absolue. Et ce n’est pas faute d’essayer d’utiliser ce que j’ai comme modèle de cerveau avec la dose de logique la plus convaincante.

Franchement. Vous y croyez, vous ? Tout ça a-t-il vraiment un sens ? Qu’est-ce qu’on fout là ? Après quoi on court ? A quoi on s’accroche ? Et pour quoi ? C’est absolument absurde ! Sans vouloir spécialement argumenter mon propos, puisque tout ça n’a pas de sens, je vous propose de prendre un exemple, au hasard (bien sûr, au hasard, puisqu’il n’y a que ça de vrai.)

Prenez cet homme (allez, je veux bien taire son nom…). On sait de lui qu’il est brillantissime. Qu’il vous analyse un budget avec une vivacité d’esprit époustouflante. Puis on le voit à la télé, dans des interviews (elles font un score maximum sur les sites Internet video de type “You tube”), des prestations courtes qui neuf fois sur dix provoquent un vrai rire, voire un fou rire, et qui sans aucun doute suscitent un vrai courant de sympathie du bonhomme.

Il faut le voir. Qu’est-ce qu’il est attachant ! D’abord son sourire béat, ses belles couleurs, ses yeux pétillants, et puis surtout sa manière très personnelle de s’exprimer : pas seulement avec un accent onctueux et chantant, mais avec un rythme de parole d’une lenteur délicieusement anachronique. Franchement, des gens à l’ambition comique n’arrivent pas à sa cheville, même après des années de cabaret. Et je sais de quoi je parle.

Alors, la rumeur se met à courir. Son problème, à ce qu’il paraîtrait, c’est qu’il a une petite tendance à picoler. Et ça jouerait plus que probablement sur son débit. Puis la rumeur s’inverse : il aurait arrêté de boire. Bon. Arrivent les élections, et il l’emporte haut la main. Normal, il est si attachant ! On le voit de nouveau au mieux de sa forme. Il lâche en télé des vannes à faire se retourner dans leurs tombes respectives Coluche, Bourvil, Fernand Raynaud et Darry Cowl. Tout le monde se marre. On se dit que là, vaseux comme il est, il doit quand même avoir un petit verre dans le nez. Pompette ? Eh bien, non ! Le voilà qui dément formellement, et avoue que tout ça, c’est parce qu’il a été un écolier gaucher contrarié dyslexique et que ça a entraîné une certaine lenteur dans son débit (de parole, pas de boisson). Malgré ce démenti formel, on apprend par son propre fils qu’il a tout de même un peu fêté sa victoire, que ça s’arrose, et que d’ailleurs, il avait vraiment cessé de boire mais que tout le monde lui a dit de recommencer parce qu’il devenait un peu triste. Absurdité absolue !

C’est adorable. Cet homme a décidément tout pour gagner le prochain prix IgNobel. Pas Nobel, mais bien IgNobel. Une chouette initiative. Une sorte de pendant au Nobel, décerné à Harvard, mais visant des gens qui voient les choses, disons, différemment. Comme par exemple les deux Français qui viennent de recevoir le prix en physique pour s’être penchés sur la fragmentation des spaghettis secs. Vous savez, quand on les plie, ils se cassent toujours en trois morceaux et pas en deux. Il y a aussi - arrêtez-moi si vous êtes déjà au courant - ceux qui ont bossé sur l’aversion ressentie lors du crissement de la craie sur un tableau, ou sur l’influence de la température sur la vitesse de propagation des ultrasons dans le fromage de cheddar, ou encore sur l’interruption des hoquets irrépressibles par un massage digital du rectum. Le fondateur du prix IgNobel, Mark Abrahams, vient de sortir un livre* (traduit en français) où il évoque tous ces travaux qui ont obtenu son prix. Je propose qu’on lance une pétition afin que notre homme politique - cité par ailleurs et dont je tairai encore le nom - ait une mention tout à fait spéciale en addendum dans ce bouquin, voire même un poster central dépliant. Franchement, il le mérite.

* “Les Prix IgNobel : La science qui fait rire… et réfléchir”, par Mark Abrahams aux éditions Danger Public.

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