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[La semaine infernale, Gilles Dal] Aux armes, citoyens ?

The 2008-05-01 at 08:00 by Eddy. In La Semaine Infernale.

S’il y a bien un qualificatif dont on abuse ces temps-ci, c’est le qualificatif “citoyen”. On comprend évidemment son sens quand, à la télévision, passent des émissions citoyennes, qui ont des missions particulières, et dont on se doute que sur l’échelle du fun, elles sont plus proches d’une interview de Régis Dohogne lors des grandes grèves enseignantes de 1990 que du célèbre tube de Vincent Lagaf, “il est beau le lavabo”. On saisit également la formule “restaurants citoyens”, au sein desquels on imagine que la composition des aliments servis fait l’objet de plus d’attention qu’au “Snack Pitta Gyros New New New New Grill” situé pas loin de chez moi, et dont le nom devrait susciter les plus vives inquiétudes, sachant que chaque “New” est rajouté après la réouverture du restaurant. Chaque réouverture faisant elle-même suite à une précédente fermeture pour cause de dératisation intensive des cuisines. Dans ces cas-là, on comprend évidemment l’utilisation du mot “citoyen”.

Mais le problème, comme en tout, vient de l’excès : ce mot devient tellement à la mode que, je prends les paris, on parlera bientôt de spaghettis jambon fromage citoyens, pourvu qu’ils aient été conçus avec de la pâte équitable, que le jambon ait été fabriqué avec la carcasse d’un porc élevé dans un environnement associatif, et que le fromage soit issu d’un lait tiré de vaches conscientisées par les problèmes du Tiers-Monde et la disparité des échanges Nord-Sud. Et quand ce sera le cas, plus rien ne pourra arrêter la machine : pourquoi pas un Michel Daerden citoyen, qui mordrait - ou qui boirait, plutôt - toujours la vie à pleines dents - ou à pleines gorgées -, mais qui s’engagerait à ce que lors de chacun de ces abus éthyliques, soit versé 1 euro au profit d’associations humanitaires ?

C’est grâce à ce genre d’idée toute simple que nous pourrions tous vivre dans un monde meilleur ! Evidemment, là, je me fais un peu utopiste… alors tant qu’à faire, je poursuis sur ma lancée, et je me prends aussi à rêver à un José Happart citoyen, qui articulerait enfin pour qu’on comprenne au moins une fois ce qu’il raconte. Ou à un mess citoyen, où les cuisiniers expliqueraient en détail à chaque client ce qu’ils mettent vraiment dans leur vol-au-vent. Ou à un barbecue citoyen où, par souci d’égalité entre l’extérieur des saucisses et leur intérieur, on renoncerait - enfin ! - aux merguez brûlées à l’extérieur et gelées à l’intérieur, cette discrimination étant extrêmement fréquente, et trop peu d’esprits rebelles osant se lever contre elle. Ou à une photocopieuse citoyenne qui, pour lutter contre les cadences infernales, bloquerait sa propre fonction “avaleuse”. Ou à un ascenseur citoyen, qui ne s’arrêterait qu’aux étages dont les habitants ont réglé toutes leurs charges trimestrielles, et sont donc en ordre de paiement avec le syndic (j’habite dans un immeuble, et je précise que je ne règle ici aucun compte personnel). Ou à un paillasson citoyen, qui n’adhérerait pas aux saletés souillant le bas des chaussures des fans du docteur Féret.

Ou à un cinéma citoyen, où toute personne surprise en train de faire du bruit avec son sachet de bonbons se verrait aussitôt évacuée sans sommation par des brigades d’intervention spéciale, qui emmèneraient le perturbateur dans les caves du cinéma, qui le ficelleraient, et qui le forceraient à écouter 12 heures d’affilée des bruits de sachets en plastique triturés. Ou à une dispute pour une place de parking citoyenne, où les deux conducteurs, certes, sortiraient ulcérés de leur véhicule et s’insulteraient violemment mais, au moment d’en venir aux mains, s’accorderaient un bref délai pour pouvoir enfiler des gants blancs. Ou à un réveille-matin citoyen, qui se déclencherait plusieurs fois par nuit au son du refrain du tube de Daniel Guichard “Le gitan”, uniquement chez les gens qui se sont mal comportés durant la journée écoulée. Ou à un restoroute citoyen qui, au nom du bon goût, renoncerait enfin aux publicités montrant Jean-Marie Pfaff déguster des boulettes sauce tomate à 6 euros, sous le slogan enjôleur “Ik sta er paf van”, traduction littérale : “J’en reste baba” ou, dans un français plus sophistiqué : “C’est vraiment délicieux, et en plus ce n’est pas cher”.

Je sais ce que vous allez me dire : rien de cela n’est plausible… et pourtant ! Comme a coutume de le dire Michel Daerden, tout est une question de volonté…

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